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Type de textesource
TitreHistoire de la peinture ancienne, extraite de l’Histoire naturelle de Pline, liv. XXXV, avec le texte latin, corrigé sur les mss. de Vossius et sur la Ie ed. de Venise, et éclairci par des remarques nouvelles
AuteursDurand, David
Date de rédaction
Date de publication originale1725
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Date de reprint

, p. 110

Antiphile, célèbre par quelques tableaux d’un goût exquis : comme, par éxemple, un ENFANT qui souffle le feu, dont la beauté paroit merveilleuse à la lueur des flammes, aussi bien que l’appartement où il est, déjà magnifique par lui-même.

Notes au texte latin, p. 296 :

(O) Ac pulcra alias domo splendescente. La I. Ed. porte pulcrè, la 2. et un MS. de Dalecamp de même ; et j’avois cru d’abord pouvoir m’en accomoder, en rapportant pulcre à splendescente : parce que la beauté d’un tableau de cette nature ne consiste pas tant à orner un appartement, pulcra domo, qu’à bien représenter le jeu de la lumière et des reflets ; pulchre splendescente : mais l’adverbe alias m’a retenu, pulcra alias domo splendescente. Un autre MS. porte, ac pulcra domo flamma splendescente.

Dans :Antiphilos, L’Enfant au brasero(Lien)

, p. 89-90

CALLICLÈS est encore un artisan, qui éxcelloit si fort dans les ouvrages de mignature, qu’il n’étoit guere inférieur aux plus grands peintres. [[1:Ses pièces[[3:Ceci est tiré de Varron, ou plutôt d’un fragment qui nous en reste dans Sosipater, liv. I.]] n’avoient ordinairement que trois pouces de largeur, et cependant on y découvroit un sublime qui approchoit, dit Varron, de la majesté d’Euphranor.]]

CALADE[[3:Les Athéniens lui élevèrent une statuë, dans le Céramique ; s’il en faut croire Junius, sur un passage de Pausanias mal entendu : mais le P. H. refure cette conjecture, et je crois qu’il a raison. Voy. sa remarque sur ce passage.]] le suivoit de près et couroit dans la même carrière ; mais ses inventions n’étoient pas nobles. Il préféroit la comédie à la tragédie ; c’est-à-dire, que ses sujets se ressentoient plus de la vie ordinaire des hommes, que des grands évenements de l’histoire, ou de la fable.

ANTIPHILE sut réunir ces deux caractères. […] Nous avons déjà dit qu’il éxcelloit dans les deux caractères opposez, le tragique et le comique. Un jour il se divertit à représenter un homme ridiculement habillé ; et cette figure grotesque le réjouit si fort, qu’il l’appela son GRYLLON[[3:Peut-être du mot grec γρυλλος, qui veut dire un porc ; mais je ne voudrois pas l’assurer.]] ; et depuis ce tems-là ce nom est demeuré, parmi les peintres, à ces sortes de fantaisies, qui n’ont d’autre fondement, que l’imagination de l’ouvrier.

Notes au texte latin, p. 285-286 :

(H) Parva et Callicles fecit. Il y a eu deux grands ouvriers de ce nom : le statuaire, qui étoit de Megare, et dont notre Pline nous a parlé au liv. 34. ch. 8, et le peintre, dont on ignore la patrie, mais non pas la réputation : voici ce qu’on trouve dans Charis. Sofipater, liv. 1. comme tiré du livre de Varron de Vita Pop. Rom. Neque ille Callicles quaternum digitum tabellis nobilis cum esset factus, tamen in pingendo adscendere potuit ad Euphranoris altitudinem. C’est-à-dire, qu’il étoit habile, qu’il travailloit en mignature, que ses pièces n’avoient que quatre doigts de largeur, qu’il se fit un nom entre les peintres, malgré cette petitesse ; mais qu’il ne put atteindre au sublime d’Euphranor. 

(I) Item Calades comicis tabellis. C’est la leçon de la I. Venitienne ; un MS. de Dalecamp porte, Colaces : celui de Voss. et plusieurs autres, Calates : les Edd. antérieures à celle du P. H. Calaces. Meursius est le premier qui a conjecturé Calades, d’après un passage de Pausanias, Liv. I. p. 14. Καλάδης Αθηναίος ὡς λέγεται νόμως γράψας. Il parle d’un certain Calade, à qui on dressa une statue dans le Céramique, comme à celui qui avoit redigé par écrit les loix de la Rép. d’Athènes ; mais Meursius corrige κώμως γράψας, quasi comica, ou comessationes pinxisset ; mais en vérité le P. H. a raison de rejetter cette conjecture. Ne voilà-t-il pas un sujet bien digne d’élever une statuë à un homme dans le Céramique et vis-à-vis du Temple de Mars ! voyez sa note sur ce passage.

(K) Antiphilus. Apparemment le même, que Lucien a fait contemporain et émule d’Apelle, dans son traité de la Calomnie ; voyez ce qu’on en a dit ci-dessus, dans l’Hist. de la peinture, art. d’Apelle. Mais je ne crois pas qu’on doive confondre celui-ci, qui est un des peintres du I. rang, avec un autre Antiphile, qu’on trouvera ci-dessous parmi les peintres du second : la raison en est, que notre auteur rapporte éxactement les ouvrages de l’un et de l’autre, et qu’il les range eux-mêmes en différentes classes. Celui dont il parle ici est un peintre du I. ordre. Il ne vous servira de rien, dit le sophiste Théon, de connoitre les ouvrages d’un Apelle, d’un Protogene, d’un Antiphile, si vous ne mettez vous-même la main à la peinture. Voyez Junii Artifices, in Antiphilo. Il confond ces 2 Antiphiles : mais le P. H. les distingue.

(I) In Schola. Voyez les petites notes sur ce passage, dans l’Hist. de la peinture : Schola étoit une espèce d’Académie, ou de rendez-vous pour les savans, dans les portiques d’Octavie : ou, peut-être, l’appeloit-on ainsi, parce que c’étoit là apparemment, où Auguste faisoit élever ses petits-fils. Voyez ce qu’on a dit ci-dessus de Verrius, leur précepteur ; p. 204. Rem. Z.

(N) Idem jocoso nomine Gryllum deridiculi habitus. C’est la leçon de la I. Venitienne ; éxcepté qu’elle porte jocosis : mais c’est que l’O étant mal fermé, le copiste ou l’éditeur a lu jocosi. On a remarqué la même chose, au sujet de viro, dont l’éditeur de Venise a fait viris ; tantum erat auctoritatis viro in regem alioqui iracundum. Voyez ci-dessus dans l’art. d’Apelle. Les MSS. de Voss. de Pintianus, et du P. H. lisent aussi deridiculi. Plaute, Terence, Tacite ont parlé ainsi. Le I. dans Amphitrion, Act. 2 sc. 2. Quid tu me reridiculi gratia sic salutas ? Le 2. dans Heautontimoroumenos, Act. 5 sc. I. Ego ne ? Si vivo, exornatum dabo, adeo depexum, ut, dum vivat, meminerit semper mei : qui sibi me pro deridiculo ac delectamento putat : et le 3. dans ses Annales lib. 3 Deridiculo fuit senex foedissimae adulationis tantum infamia usurus. Cependant les Edd. postérieures à la I. lisent simplement ridiculi habitus. Pour ce qui est de ce Gryllum, il y a apparence qu’il veut parler de quelque ridicule qui portoit ce nom et que le peintre rendit encore plus burlesque par la manière dont il l’habilla, et voilà l’origine du terme entre les peintres : unde hoc genus picturae Grylli vocantur. Parmi nous, on appelle encore Fontange, un nœud de ruban, que les femmes ajoutent quelquefois à leur coiffure, parce que Mlle Fontange, maîtresse de Louis XIV, fut la premiere qui en porta.

Dans :Antiphilos et le Gryllos ; Calatès, Calliclès et les tableaux comiques(Lien)

, p. 74

[[2:Son Alexandre foudroyant.]] Un autre de ses ouvrages, qui a eû beaucoup de réputation, est son ALEXANDRE, la foudre à la main, qu’il peignit pour le Temple de la Diane des Ephésiens, et dont il reçut[[3:12000 escus d’Angl. Quelques Edd. et entr’autres la premiere, lisent, viginti talentis auri. Mais le P.H. supprime le dernier mot, et peutêtre avec raison. Quoi qu’il en soit, Apelle fut payé en or, comme on le voit par la suite : aureos.]]  vingt talens en or. Il semble que la main du Heros, avec la foudre, sortent réellement du tableau ; et ce dont je prie les lecteurs de se souvenir, c’est qu’il a peint tous ces miracles avec les quatre couleurs primitives, dont nous avons parlé ci-dessus. A l’égard des vingt talens qu’il eut pour cette peinture, ils ne lui furent pas proprement comptez ; on couvrit le tableau de piéces d’or, qui se trouverent monter, à peu près, jusqu’à cette somme, et c’est ce qui a fait dire, que le prix n’en fut pas reglé au poids, mais à la[[3:Au lieu que le tableau de Bularque, dont il a parlé ci-dessus, fut vendu au poids, et non pas à la mesure. Voy. ci-dessus, p. 47.]] mesure.

Notes au texte latin, p. 270 :

(M) Pinxit et Alexandrum. Plutarque dit qu’Apelle, qui étoit ingénu, comptoit 2. Alexandres, l’un de Philippe, qui étoit invincible, et l’autre d’Apelle, qui étoit inimitable : et dans la Vie d’Alexandre même ; Or quant à la forme de toute sa personne, les images faites de la main de Lysippus sont celles qui le représentent le mieux au naturel. Aussi ne voulut il point qu’autre imager le taillât que lui : car plusieurs de ses successeurs et de ses amis (s’entend de Lysippe) le contrefirent bien depuis ; mais cet ouvrier-là, sur tous les autres, a parfaitement bien observé et représenté sa façon de porter le col un bien peu penchant sur le côté gauche, et aussi la douceur de son regard et de ses yeux. Mais quand Apelles le peignit tenant la foudre en sa main, il ne représenta pas sa naïve couleur, ains le fit plus brun et plus obscur qu’il n’étoit au visage : car il étoit naturellement blanc, et la blancheur de son teint meslée d’une rougeur qui apparoissoit principalement en sa face et en son estomac.

(N) Viginti talentis. La I. Ed. porte, x. talentis auri : mais le P. H. a supprimé le dernier mot, parce qu’il ne l’a trouvé que dans un MS. et d’une main plus récente. La correction est certaine. Cependant il reste une difficulté. Apelle lui-même offroit cinquante talens d’un tableau de Protogene ; comment donnoit-il les siens pour vingt talens seulement ? C’est assez peu en comparaison des autres tableaux, qui sont marquez dans ce livre, à 40, à 50, à 60, à 100 talens. D’ailleurs, que ferons-nous de la suite ? La leçon de Venise porte, Immane pretium ejus tabula in nummo aureo mensuram accepit, non numero. Un MS. de Dalecamp reconnoit aussi immane tabulae pretium, un autre du Vatican de même, les Edd. de Parme, et plusieurs autres, de même ; et Carlo Dati est pour cette lecture. C’est le stile de Ciceron, inmanis pecunia ; ingens inmanisque præda ; inmanis jacturis. S’il faut donc conserver inmane, où est le prodige de cette somme, puisqu’il ne s’agit que de vingt talens ? Il y a encore une difficulté. Que veut dire cette expression, aureos accepit mensura, non numero ? On couvrit le tableau de piéces d’or ; je le veux : mais comment arriva-t-il que ces piéces d’or, quelles qu’elles fussent, se montassent précisément à la somme marquée ? Horace nous parle d’un riche, qui mesuroit son argent : Dives ut metiretur nummos : mais si vous appliquez cela à notre passage, vous ne levez point la difficulté. Il ne s’agit après tout que de 20. Talens, 12000 Ec. d’Angl. il n’y a pas là grand sujet de se récrier. Le P. H. lit simplement, Tabulæ pretium accepit aureos mensura, non numero : et il s’appuie sur deux de ses MSS. Toutes ces différences font voir que ce passage a été fort mal traité.

Dans :Apelle, Alexandre au foudre(Lien)

, p. 72

[[2:Usage qu’il faisoit du profil]] Apelle avoit encore le secret de cacher les défauts les plus choquants, en peinture, ou par le moyen des situations, ou par des airs de tête particuliers, ou enfin par les drapperies : et il est le premier des anciens peintres, qui ait usé de cet innocent artifice, dans les portraits, sans préjudice de la ressemblance et du caractère particulier des personnes. C’est ainsi qu’il peignit ANTIGONUS, qui n’avoit qu’un œil[[Si Antigonus étoit devenu tel, par un accident de peu d’importance, Apelle ne faisoit pas mal de cacher ce défaut ; mais s’il avoit perdu un œil en combattant pour son prince, ou pour sa patrie, cette marque de bravoure lui étoit honorable, et par conséquent, il ne faloit pas l’éclipser. C’est aujourd’hui une des loix de la peinture.]], en lui faisant tourner la tête d’une certaine manière, qui faisoit croire au spectateur, que c’étoit l’attitude du prince, qui cachoit un de ses yeux, et non un défaut réel. Enfin, il ne montroit de ces visages disgraciez, que les parties qu’il pouvoit faire paroître sans difformité.

Note au texte latin, p. 269 :

(F) Primus excogitata ratione vitia condendi. La I. ed. lit prius ; mais l’ed. de Rome et Hermolaus ont remis primus. Ce qui n’est point opposé à ce qu’il a dit plus haut de Cimon de Cléone, Hic catagrapha invenit, hoc est, obliquas imagines. Car il parle là des attitudes ; mais à l’égard d’Antigonus, il s’agissoit de cacher un défaut, et un défaut naturel. Car s’il eût perdu cet œil dans une bataille ou dans un siège, il n’auroit pas falu cacher cette marque honorable de sa bravoure. Les sculpteurs avoient déjà usé du même artifice, avant les peintres. Périclès étoit « si bien formé en toutes les parties de son corps, qu’il n’y avoit que redire, excepté qu’il avoit un peu la tête longue et déproportionnée en grosseur au reste de la personne ; qui est la cause pourquoi toutes ses statuës presque ont l’armet en tête, n’ayant pas les ouvriers, ainsi qu’il est vraisemblable, voulu lui reprocher cette déformité. Mais les poëtes antiques l’appelaient scinocephalos, qui vaut autant à dire, comme tête d’oignon. » PLUT. In Pericle. cap. 2. Voyez aussi Carlo Dati, p. 33. Du reste, cet Antigone était un des généraux d’Alexandre, et pere du fameux Demetrius Poliorcete, amateur comme lui des beaux-arts et de la peinture.

Dans :Apelle, le portrait d’Antigone(Lien)

, p. 76-77

[[2:Son vernis et ses utilitez]] On conçoit aisément, par tout ce que nous venons de dire d’Apelle, que la peinture profita beaucoup de ses inventions, et que les grandes ouvertures qu’il donna aux princes de son tems, produisirent au public une infinité de belles choses, qui parurent dans la suite. Il eut divers imitateurs, grands et petits : mais une chose en quoi personne n’a pû pénétrer son secret, est la composition d’un certain vernis, qu’il appliquoit à ses tableaux, pour leur conserver, à travers les siècles, cette fraicheur et cette force, que nous y admirons[[3:Ces sortes de vernis étoient d’autant plus nécessaires qu’on ne peignoit point en huile.]] encore. En effet, c’étoit quelque chose de si fin et de si transparent, qu’on ne l’appercevoit que de fort près et en y portant la main, et cependant il en tiroit de grands advantages. Car prémierement, l’ordure et la poussiere n’y avoient aucune prise ; ce qui en faisoit durer la beauté, beaucoup plus longtems qu’elle n’auroit fait naturellement. En second lieu, il soulageoit par là, les yeux du spectateur, plus à portée d’en distinguer les objets par la repercussion du vernis. En troisieme lieu, il adoucissoit beaucoup son ouvrage, et donnoit à ses teintes ce ton moëlleux, qui fait tant de plaisir dans la peinture : d’autant plus que nos yeux, pour l’ordinaire, éblouïs de la force et de la variété des couleurs vives, ne sont pas si en état de se prêter au spectacle et den juger comme il faut : or chacun sçait qu’il n’y a rien qui tempere plus les choses, que de les regarder avec un verre, dans un certain éloignement[[3:Il y en a aussi, qui se servent de Verre, pour peindre en petit, ce qu’ils voyent en grand ; ou pour copier, en miniature, les plus belles estampes, ou les plus grands tableaux. Cependant les maîtres de l’art assurent, que cette maniere d’appetisser les objets en ôte l’esprit et la sagesse.]] ; et c’étoit justement l’effet que produisoit le vernis d’Apelle. En un mot, il soulageoit la vuë, il amortissoit les couleurs fleuries, et relevoit les couleurs austeres.

Notes au texte latin, p. 273-274 : 

(E) Inventa ejus et ceteris profuere in arte. C’est le caractère des grands ouvriers, en toutes sortes d’arts et de professions, non seulement ils s’ennoblissent eux-mêmes ; mais ils laissent encore des élèves, qui profitent de leurs découvertes. C’est ce qu’on vit en Raphaël ; car s’il a été le maître de l’art et qu’il en ait découvert les trésors, on peut dire qu’il a donné moyen à ses disciples de s’enrichir de sa découverte. FÉLIB. Tom. I p. 214. Combien de gens ont profité des travaux de DESCARTES, qui l’ont égalé ou surpassé ensuite ? Que d’habiles mathématiciens M. NEWTON nous a procurez, dont une partie ont jouï de ses inventions avec ingratitude ! Depuis que TILLOTSON nous a donné un modelle accompli pour la chaire, combien de mauvais sermons sont tombez et tomberont encore de plus en plus ! mais pour lui, il ne tombera point et ses imitateurs seront toûjours goûtez des personnes raisonnables. Il ne faut qu’un habile homme pour donner le ton à plusieurs siécles.

(F) Claritates colorum excitaret. La I. ed. de Venise et la I. de Rome portent, claritates oculorum ; mais c’est une faute, qui ne s’accorde point avec la suite, custodiretque a pulvere et sordibus. Junius a tenté une autre correction : il soupçonne que Pline avoit écrit, claritates colorum occaeceret. L’éxpression est bonne, elle est de notre auteur ; mais elle n’est pas bien appliquée : ce repercussu marque visiblement qu’il s’agit d’exciter, de faire paroître les couleurs, et il est certain qu’un beau vernis leur donne du lustre. Ce qui a trompé les interprètes, c’est qu’ils ont confondu claritates colorum, avec claritas colorum. Je suis fort trompé si ces éxpressions ne sont différentes. Claritates colorum, ce sont les belles couleurs, comme claritates operum, nobilitates operum, les beaux ouvrages : mais claritas colorum, dont il parle dans la suite, c’est la vivacité des couleurs ; ce qui est bien différent. Pline veut donc dire, qu’Apelle tiroit 3 usages de son vernis, I. Il donnoit du lustre aux belles couleurs, quelles qu’elles fussent, il les rendoit plus moëlleuses, plus unies et plus tendres ; c’est l’effet de l’huile. 2. Il garantissoit ses ouvrages de l’ordure et de la poussiere. 3. Il menageoit la vuë du spectateur, qui s’éblouit facilement, en tempérant les couleurs vives et trenchantes, par l’interposition de ce vernis qui tenoit lieu de verre à ses ouvrages : Ut idipsum repercussu claritates colorum excitaret custodiretque a pulvere et sordibus ; voilà les 2 premiers effets : Sed et tum ratione magna, ne claritas colorum aciem offenderet ; et eadem res nimis floridis coloribus austeritatem occulte daret : voilà le dernier effet le reste est facile à entendre. Voyez FELIB. Tom. 3 p. 302.

Dans :Apelle, atramentum(Lien)

, p. 70-71

Quoi qu’il en soit, Apelle s’étant embarqué, quelque tems après, pour une ville de la Grèce, fut malhûreusement jetté, par la tempête, du côté d’Alexandrie, où le nouveau roi ne lui fit aucun accueil. Outre cette mortification, à laquelle il devoit s’attendre, il y trouva des envieux assez malins, pour chercher à le faire tomber dans le piège. Dans cette vuë, ils engagerent un des espions[[3:Planus, un imposteur, un homme de cour et d’intrigue. On a dit aussi implanare, tromper.]] de la cour à l’inviter au souper du roi, comme de sa part ; ne doutant pas de lui attirer par là le ressentiment, ou du moins l’indignation d’un prince, qui ne l’aimoit pas, et qui ne savoit rien de la fourberie. En effet, Apelle s’y étant rendu par déférence, le roi irrité de son audace, lui demanda brusquement qui étoit celui de ses gentilshommes, qui l’avoit appelé à sa table, et lui montrant de la main ses invitateurs ordinaires, il ajouta, qu’il vouloit savoir absolument à l’indication duquel il avoit pris cette hardiesse. Mais le peintre, sans s’émouvoir, se tira de ce pas en homme d’esprit et en dessinateur consommé. Il prit d’un réchaut qui étoit là, un charbon éteint, et en trois ou quatre coups, il crayonna sur le champ, contre la muraille, l’ébauche de celui-là même, qui l’avoit effectivement invité ; au grand étonnement de Ptolémée, qui reconnut aussitôt le visage de l’imposteur, dès les premiers traits.

Note au texte latin, p. 268-269 :

(E) Subornato, fraude aemulorum, plano regio. Planus, en grec πλάνος, un fourbe ; planus regius, un espion de cour, un imposteur, un homme d’intrigue, qui joint l’impudence à l’artifice : S. Cyprien a dit aussi inplanare, pour tromper, séduire. Cicéron, Horace, Gellius, Pétrone ont employé Planus, dans le même sens. La I. Ed. porte, subornato, fraude aemulorum, plano regio invitatus ad coenam, indignantique Ptolemaeo et vocatores suos ostenderet aut diceret a quo eroum invitatus esset. Voilà deux mots qu’elle supprime regis et venit, qui sont assez inutiles ; car il paroit assez, par la suite que ce fut au souper du roi qu’il fut invité, puisque Ptolémée s’en offença : et pour ce qui est de venit, il n’est gueres naturel de refuser un roi qui nous appelle à sa table : cependant on peut le conserver, si l’on veut. Pour ce qui est d’ostenderet, c’est une corruption d’ostendenti. Un MS. de Dalecamp porte, indignanteque Ptolemaeo et vocatores suos ostendente, ut diceret, etc. ce qui n’est pas mal, parce que le datif de la leçon ordinaire n’est régi par aucun verbe, si ce n’est delineavit. Il me semble donc qu’on peut fort bien lire : Non fuerat ei gratia, in comitatu Alexandri, cum Ptolemaeo : quo regnante, Alexandriam vi tempestati expulsus, subornato fraude aemulorum plano regio, invitatus ad coenam, venit ; indignanteque Ptolemaeo et vocatores suos ostendente, ut diceret a quo eroum invitatus esset ? adrepto carbone e foculo extincto, imaginem in pariete delineavit, agnoscente voltum plani rege, ex inchoata protinus. Je lis inchoata, d’après la I. de Rome, en le rapportant à imaginem. Cela est plus naturel que de lui faire dire, agnoscente vultum, ex vultu inchoato. Du reste, ce que fit ici Apelle, marque la force de son imagination : car il n’avoit vû l’espion qu’une seule fois. D’autres ont peint des gens sans les avoir vûs. Il nous est venu de Suisse, depuis peu, un portrait gravé de M. Ostervald, qui a été fait par un homme, qui ne le vit jamais. C’est une très mauvaise pièce, et qui mériteroit d’être anéantie par une meilleure.

Dans :Apelle au banquet de Ptolémée(Lien)

, p. 75-76

[[2:Sa CAVALE]] On a eu de lui, et peut-être l’a-t-on encore, une cavale si bien peinte, dans un combat de pinceau, qu’il en apella à la décision des bêtes, dès qu’il s’aperçut que les hommes, qui en devoient juger, avoient eu la faiblesse de laisser briguer leurs suffrages par ses rivaux. Il fit donc venir de vrais chevaux au spectacle, qui, ayant paru froids devant les tableaux de ses concurrens, commencerent à hennir de toute leur force, les uns après les autres, devant le sien, commme s’ils avoient reconnu leur semblable. Et depuis ce tems-là, on a toûjours rappelé la même experience, comme infaillible en pareil cas.

Notes au texte latin, p. 272 :

(X) Apellis tantum equo adhinnivere. Val. Maxime donne à entendre que c’étoit une cavale: quo excusabilior est error equi, qui visa pictura equae, hinnitum edere coactus est. Félibien l’a suivi. L’ed. de Venise lit ainsi : Apellis tantum equo adhinnivere, utque et postea semper hujus experimentum artis ostentaretur : mais je suis pour la leçon commune.

Dans :Apelle, le Cheval(Lien)

, p. 76

Enfin il peignit une DIANE, au milieu de toutes ses nimphes, qui sacrifient ; tableau, où il semble avoir surpassé Homère, qui lui en a fourni le sujet dans son Odyssée[[3:Liv. VI et Virg. dans son Enéid. Liv. I.]].

Notes au texte latin, p. 273 : 

(B) Quibus vicisse Homeri versus videtur. On a marqué cet endroit de l’Odyssée, dans l’Hist. De la peinture : voy. la page e regione : s’il est donc vrai qu’Apelle ait été surpassé par la poësie, au sujet de l’Anadyomene, il a surpassé à son tour la poësie, dans le tableau de sa Diane : tant il est vrai que la Peinture et la Poësie sont deux sœurs rivales, qui ne cherchent qu’à se piller et à se surpasser l’une l’autre. Voy. du FRESNOY de Arte Graphica.

Dans :Apelle, Diane(Lien)

, p. 67-68

[[4:suit Apelle et cordonnier]] [[1:Fut chéri d’Alexandre le Grand]] On voit par là que ce grand homme, outre le talent qu’il avoit pour bien peindre, avoit encore autant de vivacité que de finesse d’esprit ; et c’est ce qui le rendit si agréable à Alexandre le Grand, que le jeune héros ne dédaignoit pas de venir souvent chez le peintre, tant pour jouïr des charmes de sa conversation, que pour le voir travailler, et devenir le premier témoin[[3:Ainsi Demetrius se plaisoit à voir travailler Protogène ; les papes Jules II et Léon X à voir travailler Raphaël et Michel-Ange ; Louis XIII, à voir travailler le peintre Vouet ; et Louis XIV, M. Le Brun. Voyez Perrault, Paral. t. I p. 231.]], pour ainsi dire, des merveilles qui sortoient de son pinceau. Il était même si prévenu en sa faveur, que par un édit public, il défendit à tout autre peintre de faire son portrait. Il arriva encore que se trouvant un jour chez lui, lorsqu’il peignoit, et se répandant en questions, ou en réflexions peu sensées sur la peinture, comme il est ordinaire à ceux qui veulent parler d’un art qu’ils ignorent ; le peintre lui conseilla tout doucement d’épargner la matière[[3:D’autres disent que ce fut à Mégabyze, le prêtre de la Diane des Ephésiens, qu’Apelle parla ainsi : Elien attribuë ces paroles à Zeuxis. M. Bayle doutoit qu’un peintre eût osé parler ainsi à Alexandre ; mais il en jugeoit selon les mœurs de son tems. D’ailleurs il n’y a que la maniere en toutes choses ; et il y a apparence que cet avis d’Apelle fut donné à l’oreille : comiter suadebat.]] : Ne voyez-vous pas, lui dit-il, que ces jeunes garçons, qui broient mes couleurs, ne font que sourire entre eux de vous entendre ? Tant le peintre bel esprit avait acquis d’ascendant sur un prince, qui faisoit déjà la terreur et l’admiration du genre humain et qui étoit naturellement colere. [[4:suite : Apelle et Campaspe]]

Notes au texte latin, p. 265-266 : 

(P) Imperite multa differenti silentium comiter suadebat. Ce passage a fait de la peine aux critiques. Ce n’est pas du côté de l’ignorance d’Alexandre ; un jeune conquérant, qui n’avoit en tête que la conquête du monde, pouvoit ignorer les finesses de la peinture ; ni du côté du babil, car il aimoit à parler et à deviser, dit Plutarque, surtout lorsqu’il étoit à table ; ni du côté de son amour pour la peinture, car combien y a-t-il de gens qui l’aiment et ne s’y connoissent gueres ? ni enfin du côté de son affection pour un peintre, qui était poli, agréable, délicat ; un jeune monarque se passionne aisément pour un génie de ce caractère, qui joint à la bonté de son cœur, la beauté de l’esprit et la délicatesse du pinceau. Rien n’est plus commun que ces sortes de familiaritez entre les héros de divers genre. Mais ce qui fait de la peine ici, c’est qu’Apelle ait osé découvrir au prince son ignorance et d’une maniere à le tourner en ridicule : Je vous conseille, lui dit-il, de parler plus bas, parce que mes garçons qui vous entendent, commencent à sourire. Écoutons Freinshemius : « Or comme Alexandre séjourna quelque temps à Éphèse, pour se délasser l’esprit, il allait souvent chez Apelle, à qui seul il permit de faire son portrait… (suit l’histoire de la belle Pancaste, et du présent qu’en fit au peintre le jeune héros). Au reste, comme cela n’est pas indigne de la générosité d’Alexandre, ainsi je ne croirois pas, qu’Apelle lui ait imposé silence par un mot de raillerie, tandis qu’il étoit à son atelier et qu’il parloit de plusieurs choses avec peu de connaissance. En effet, cela n’a rien de conforme à la majesté d’un si grand roi, ni à la modestie de ce peintre qui étoit homme d’ésprit… D’ailleurs, Alexandre qui avoit été instruit, dès sa jeunesse, dans les sciences liberales, avoit aussi appris à juger assez raisonnablement des arts, auxquels il ne s’étoit point appliqué. Mais ce que d’autres ont rapporté est sans doute plus vraisemblable, savoir qu’Apelle avoit repris le grand prêtre de la Diane d’Éphèse, de cette manière : Tandis que vous n’avez point parlé, l’or et la pourpre dont vous êtes revêtu vous rendoient vénérable à ceux qui ne vous connoissoient pas ; mais depuis que vous avez commencé à discourir des choses que vous n’entendez point, les garçons qui broyent mes couleurs, n’ont pu s’empêcher de rire, suppl. de Q. Curce, liv. 2, ch. 6. C’est Plutarque qui nous fournit le dernier fait. Élien l’attribue à Zeuxis. M. Bayle est tout à fait du sentiment de Freinshemius, et M. Chéron me disait l’autre jour à ce sujet, qu’on n’auroit pas été bienvenu à parler ainsi à Louis XIV. Je le crois bien, mais Henri IV en auroit ri le premier. Premièrement, Freinshemius étoit né et avoit été élevé dans un pays où le respect et les bienséances pour un supérieur vont au-delà de tout. 2. M. Bayle étoit né sous Louis XIV, et jamais personne n’a poussé l’autorité des rois et la servitude gallicane au point qu’il l’a fait : d’ailleurs il étoit d’un naturel si timide et si flatteur, qu’il n’osoit presque pas souffler devant M. Jurieu. Il a donc jugé Alexandre, par son siécle, par son tempérament, et par le caractère du héros qu’il idolâtroit. 3. Il faloit en juger par le siècle d’Alexandre, si bien décrit dans la Vie de ce grand homme par Plutarque, et où l’on trouve mille traits de liberté et même de franchise assez bien reçus du jeune héros. 4. On ne considere pas, qu’il s’agit ici de deux amis, qui se connoissent de longue main et qui vient familiérement ensemble ; en ce cas-là, on oublie quelquefois son sceptre et sa couronne, on s’humanise ; on prend même en bonne part de petites libertez assaisonnées d’un peu de sel. 5. D’ailleurs Apelle étoit poli, son dessein n’était pas d’offenser Alexandre, il vouloit lui épargner un ridicule où il s’exposoit à la vuë de ses apprentis ; silentium comiter suadebat : dans le fond, c’étoit un service qu’il lui rendait, et que le prince ne pouvoit pas trouver mauvais dans cette circonstance-là. 6. Ce que dit Freinshemius qu’Alexandre jugeoit assez bien des arts, est un fait assez douteux. Il pouvoit en avoir quelque teinture générale ; mais ne faut-il que cela, pour en babiller à loisir devant un Apelle ? Voyez sur ce sujet M. Perrault, dans ses Parallèles, t. I, p. 240 et suiv. 

(Q) Tantum erat auctoritatis viro in regem alioqui iracundum. La leçon de Venise porte simplement, tantum erat auctoritate viris in regem iracundum. La leçon commune est, tantum erat auctoritati juris in regem alioqui iracundum : c’est le même sens ; mais j’avouë ingénument que juris ne me revient pas, surtout associé avec auctoritas. Un MS. de Dalecamp favorise la lecture ordinaire ; tantum auctoritatis et juris erat ei in regem alioqui iracundum : à la bonne heure qu’on sépare auctoritatis et juris : mais de dire, tantum erat juris auctoritati, c’est ce qui m’a paru sans éxemple dans nos bons auteurs. Je n’ignore pas que jus se met souvent au figuré, et que nous le disons même en notre langue ; vous avez droit sur moi : mais il s’agit de savoir si on peut dire en latin, tantum erat juris auctoritati. Après cela, il faut convenir, que du viro, la derniere lettre étant mal fermée, on aura pû aisément faire viris, qui est la leçon de Venise. Au sujet du tempérament d’Alexandre, par rapport à la colere, voyez sa vie dans Plutarque, et Justin, Liv. IX ch. 8, où il nous dit que Philippe son père était colere, mais qu’il savoit dissimuler et même se surmonter ; au lieu qu’à l’égard de son fils, dès qu’il se mettoit en feu, il n’y avait plus moyen ni de l’arrêter, ni de le modérer : hic ubi exarsisset, nec dilatio ultionis, nec modus erat. CICÉRON en a jugé ainsi, alter semper magnus, alter saepe turpissimus. Offic. Liv. I. c. 26. Cependant comme Alexandre vit bien qu’il n’y avoit en Apelle aucune malice, il lui pardonna aisément cette vivacité. Le Pape Jules II n’étoit pas si traitable envers Michel-Ange : « Car ce peintre lui ayant demandé permission d’aller à Florence, il lui répondit, Et cette Chapelle, quand sera-t-elle finie ? Quand je pourrai, Saint Pere, lui repondit-il. Quand je pourrai ! Quand je pourrai ! lui repartit le pape, je te la ferai bien finir, et en même tems il lui donna d’un bâton qu’il avait dans la main. » Voilà de quelle manière le Vicaire de J.C. traitoit ses ouvriers. Une autre fois il le menaça que s’il ne finissoit bientôt, il le jetteroit de dessus ses échafauds en bas : et il l’auroit fait, si le bon Michel-Ange n’avoit précipité son pinceau, de peur de se voir lui-même précipité. Voyez FÉLIBIEN, tome 2. p. 170, 171.

Dans :Apelle et Alexandre(Lien)

, p. 68-69

[[4:suit Apelle et Alexandre]] Mais cette douceur d’Alexandre n’est pas la seule marque qu’il ait donnée de son affection et de ses égards. [[2:Qui lui ceda sa maîtresse]] En voici une autre d’un autre genre bien différent et qui leur a fait beaucoup d’honneur à l’un et à l’autre ; c’est ce que ce prince lui ayant ordonné de peindre en grand et d’une certaine manière, digne de ces siécles-là[[3:Nudam pingi, dit le texte.]], la première de ses maîtresses[[3:Elien dit, en d’autres termes, qu’elle eut les premiéres inclinations de ce prince.]] et encore la plus favorite, parce qu’en effet, elle étoit faite d’une manière à mériter d’être consacrée par une main immortelle ; et s’appercevant que le peintre succomboit aux traits de la beauté, en travaillant à les rendre, il lui céda cette belle Pancaste[[3:Pline l’appelle Campaspe ; mais Élien et Lucien l’appellent Pancaste. M. Vleughels a traité ce sujet en deux tableaux, qui ont été gravés.]], qui s’étoit si bien peinte dans son cœur, lorsqu’il s’évertuoit de l’éxprimer par le pinceau. C’étoit le nom de cette premiere favorite d’Alexandre. Grand prince, comme chacun sçait, par son courage et par son ambition ; mais plus grand encore par l’empire qu’il obtint dès lors sur lui-même, et par un sacrifice de cette nature, que par la plus belle de toutes ses victoires : car, dans ses autres conquêtes, il triompha de ses ennemis et du monde entier, mais ici il triompha de lui-même et de sa passion, sacrifia ses plus doux plaisirs à un ami, et ne fut point ébranlé par les regrets de sa bien-aimée, peu disposée, sans doute, à passer du lit du monarque à celui du peintre, sans de vives lamentations. On dit que la Vénus anadyomène[[3:Sortant des eaux.]], qui est une de ses meilleures pièces, à été faite sur cet original. On peut juger par là, et de la beauté de Pancaste, et de la grandeur d’ame d’Alexandre.

Notes au texte latin, p. 267 : 

(S) Ex pallacis suis praecipue, nomine Pancasten. Quoi que tous les MSS et toutes les Edd. lisent Campaspen, on convient néanmoins entre les savans que c’est la même, dont il est parlé dans Lucien, et dans Elien, sous le nom de Pancaste, Παγκάστην. Or il est plus naturel que les MSS. de Pline, qui ont été fort négligez, aient été corrompus dans les noms propres, plustôt que les MSS. grecs, qui ont toûjours été moins fautifs, et moins susceptibles d’altération, par la nature même des caractères. Ajoutez à cela qu’Elien est un petit livre fort agréable et utile aux écôles, et Lucien, un livre délicieux ; au lieu que notre Pline n’ayant été considéré longtems que comme un recueil, lorsqu’on avoit les sources mêmes, a été si négligé, qu’il s’est trouvé tout couvert de ronces et d’épines ; et voilà pourquoi on a encore aujourd’hui tant de peine à le débrouiller. Carlo Dati a conjecturé que ce mot pouvoit venir du persan, Camase, comme à l’égard d’autres mots qui tirent leur origine des langues orientales. Mais il n’est pas nécessaire de recourir à ces étymologies : il s’agit ici d’un nom propre et d’un nom connu, nomine Campaspen, et non pas de sa qualité, qui est indiquée plus haut, ex pallacis suis : de sorte que ce ne peut être que la belle PANCASTE, de Larisse, dans les confins de la Macédoine, ou dans la Thessalie, qui eut les premieres amours d’Alexandre. Voyez Elien, liv. 12. ch. 34. Voyez aussi Lucien dans ce beau dialogue, intitulé Les Images, où pour faire le portrait d’une femme, qui ne se trouve point, il emprunte de tous les chefs d’œuvres de sculpture et de peinture, qui éxistoient de son tems, les plus belles parties, qui pouvoient consommer son idée. Euphranor lui peindra les cheveux, comme il a fait ceux de Junon ; Polygnote, les sourcis et le vermillon des jouës ; mais Apelle doit faire tout le reste du corps, sur le modelle de sa Pancaste : c’est-à-dire, de sa Venus Anadyomene : selon la remarque de notre Pline ; Sunt qui Venerem Anadyomenem illo pictam exemplari putant : à propos de la Maîtresse d’Alexandre.

(T) Eumque dum paret captum amore sensisset. J’adopte ici la I. ed. Elle porte, eumque dum paret, lorsqu’il étoit occupé à lui obéir, en faisant le portrait de sa bien-aimée. Cette lecture ne déplaît point à Carlo Dati; il l’a trouvé dans quelque MS. du Vatican ; l’éd. de Rome porte, cum paret, et Pintianus a trouvé, dans le sien, à peu près de même. A la bonne heure. Je me contenterai de remarquer ici la bizarrerie des événements et le jeu des passions humaines. L’un, à force de peindre, devient amant, et un autre, à force d’aimer, devient peintre. Apelle nous fournit un éxemple du premier cas ; Quintin nous donnera l’exemple du second. Il avoit de l’inclination pour la peinture, mais son pere le força d’apprendre le métier de maréchal et de pourvoir ainsi à l’entrerien de sa famille. Il obéït, et parvint même à faire des balustres de fer de la dernière beauté ; mais il avoit environ vingt ans lorsqu’il devint éperdument amoureux d’une fille de sa condition, qu’un peintre recherchoit en mariage. Elle témoigna à Quintin qu’elle avoit plus d’inclination pour lui que pour ce peintre ; mais qu’elle avoit beaucoup d’aversion pour son métier de maréchal ; de sorte que se voyant obligé de renoncer à sa profession, ou à sa maîtresse, il revint à la peinture, qu’elle aimoit autant que lui, et s’y appliqua avec tant d’ardeur, qu’en peu de temps il se rendit comparable aux meilleurs maîtres, et épousa enfin celle qu’il recherchoit avec tant de passion. Depuis que l’amour lui eut mis le pinceau à la main, il ne le quitta point et fit quantité d’éxcellents tableaux, au grand étonnement de ceux qui l’avoient vu dans sa forge, comme un autre Vulcain parmi les Cyclopes. Voyez FELIB. T. 2 p. 204.

(U) Eam dono dedit. C’est une chose singuliere que la différence des leçons. L’Ed. de Venise porte, ei dono dedit et magnus : d’où j’ai fait, eam dono dedit ei. Magnus animo ; major imperio sui ! L’Ed. de Rome, dono dedit eam, sans aucun datif ; ce qui n’est pas dans l’ordre, à mona vis. Les Edd. postérieures, dono eam dedit. Sed cui dedit ? Relisez la période et vous trouverez qu’il faut ei.

(X) Quippe se vicit. Il faut avouër que Pline a un peu brodé cet endroit, et qu’un homme, qui en avoit tant, pouvoit bien en céder une, déja de vieille date. Voy. Elien, liv. 12. ch. 34.

(Y) Sunt qui Venerem Anadyomenem. Ἀναδθομηνην Ἀφροδίτην, Venerem e mari exeuntem. Il en parlera tout à l’heure. Lucien dit aussi, dans ses Images, que c’est à Apelle à faire toute la figure de cette femme accomplie, qu’il imagine, sur le modelle de sa Pancaste. C’est une preuve assez claire, ce me semble, que la Venus Anadyomene, qui avoit fait tant de bruit et dont il restoit encore des copies, avoit été faite sur le modelle vivant de cette ancienne maîtresse d’Alexandre ; ou du moins que le bruit en avoit couru.

Dans :Apelle et Campaspe(Lien)

, p. 67

Il[[5:Apelle.]] avoit encore une coutume sage et modeste, pour y faire de grands progrès. Dès qu’il avoit fini un tableau, il l’éxposoit sur la gallerie de son balcon, aux yeux des passans, et caché lui-même derrière son ouvrage, il écoutoit la critique des spectateurs : jugeant bien que le public desintéressé, et même le vulgaire non prévenu, étoit plus en état d’en remarquer les défauts qu’il ne l’étoit lui-même : car pour les beautez, c’est aux connoisseurs[[3:Cette restriction n’est pas dans Pline ; mais on l’a ajoutée pour faire sentir jusqu’où peut aller l’usage de sa remarque.]] à les reconnoître et à les sentir. Sur quoi, on raconte qu’ayant été critiqué, un jour, par un cordonnier, de ce qu’il avoit mis une courroye de trop peu, dans les sandales d’une figure, il reconnut ingénument sa faute et la corrigea aussitôt. Il est vrai que, quand il vit que le correcteur, enflé du succès de sa critique, s’avisa le lendemain de monter plus haut, et de glozer sur la jambe, indigné de son audace, aussi bien que de son ignorance, il sortit brusquement de sa cachette et, l’ayant regardé du haut en bas, Arrête, lui dit-il, et ne t’avise pas de passer la sandale[[3:En effet, il faut que chacun se renferme dans sa profession ; un cordonnier peut juger de la chaussure ; un tailleur de l’habit ; mais il est ridicule que l’un ou l’autre s’élevent au-delà de leur sphere, pour déterminer les proportions, le clair-obscur, ou les choses qui dépendent de la perspective. Alexandre lui-même s’y trouva pris.]] : ce qui est encore passé en proverbe à son occasion ; NE SUTOR ULTRA CREPIDAM : c’est-à-dire, 

SAVETIER, 

Fais ton métier,

Et garde-toi surtout d’élever ta censure

Au-delà de la chaussure.

Note au texte latin, p. 264 : 

(H) Proponebat in pergula. C’est la leçon de Venise. La leçon commune retranche la préposition. Pergula étoit une espèce de saillie, ou d’avance, sur quoi on éxposoit les tableaux. Voyez le P. H. ou plutôt Carlo Dati, p. 107.

(I) Atque ipse post tabulam latens. C’est la leçon de la I. Venitienne, qu’on a changée très mal à propos, atque post ipsam tabulam latens : quoi que Pintianus eut reclamé l’autorité de son MS. entiérement conforme à la I. Edition.

(K) Vulgum diligentiorem judicem quam se praeferens. C’est ici une maxime de la dernière utilité ; savoir que le public est beaucoup plus éclairé sur nos défauts, que nous ne pouvons l’être nous-mêmes : c’est tout ce qu’Apelle vouloit dire par là. Car en general, le peuple n’est pas un bon juge des ouvrages de l’art ; il peut sentir quelques bons endroits, et quelques défauts ; mais il n’a pas assez de lumière pour pénétrer dans les uns et dans les autres, et il se trompe quelquefois très lourdement. Horace l’avoit bien éprouvé :

Interdum volgus rectum videt : est ubi peccat.

L’approbation même de toute une multitude n’est point une preuve suffisante de la bonté d’un ouvrage, à moins que ce ne soit un peuple éclairé, comme celui d’Athenes, composé d’artisans et de gens d’esprit, qui avaient tous les jours devant les yeux des chefs-d’œuvre du pinceau et du cizeau. Aussi vous voyez que notre Pline montre dans la suite à quoi peut servir la maxime d’Apelle, c’est à corriger quelques défauts, qui ont échappé au peintre, dans le feu de son imagination, comme une courroye de trop peu, un défaut dans la sandale, dans l’habit, dans le casque peut-être, et ainsi du reste. Je me souviens qu’un cordonnier me disoit un jour, à ce propos, qu’il ne trouvait dans les tableaux de ce pays aucun soulier qui fût bien fait, et en général il avait raison : mais lui ayant montré les belles estampes de Sébastien Le Clerc, il avoua qu’il ne trouvait rien à redire à la chaussure, et qu’il était surpris de voir de si belles choses. Voyez Carlo Dati, et le P.H.

(L) Quod in crepidis una pauciores intus fecisset ansas. C’est la leçon de la I. Venitienne : la leçon ordinaire porte, quod in crepidis una intus pauciores fecisset ansas. Il me semble qu’en faveur de la clarté, il faut lire una pauciores intus. Il y a un MS. de Dalecamp, qui porte, quod in crepidarum una, dans l’une de ses sandales ; ce qui rendoit la faute d’Apelle plus sensible. Pintianus a trouvé dans un des siens, quod in crepidatis una… mais cela ne fait pas un bon sens, car crepida, la sandale, étoit une chaussure grecque, qui consistoit dans une sorte de semelle, où ils appuyoient la plante du pié, et l’attachoient ensuite avec des cordons par dessus jusqu’à la hauteur de la cheville. C’est ce que Pline appelle des anses, c. à. d. des attaches, qui étoient plus ou moins précieuses selon les conditions. On en peut voir la figure dans l’Apollon du Vatican. Les Espagnols encore aujourd’hui se servent de ces sortes de sandales en été ; la semelle est composée d’une espèce de corde de chanvre bien liée et applatie, et les attaches sont de fleuret noir : rien n’est plus commun dans tout le royaume de Valence, principalement les jours ouvriers. Ils nomment cette chaussure, spardillas.

(LΔ) Superbo ex emendatione pristinae admonitionis. C’est, à peu de chose près, la lecture de Venise : super vocem emendatione : d’où nous avons fait superbo ex emendatione. Un MS. de Dalecamp favorise cette lecture, il porte aussi super vocem. La I. ed. de Rome, superbe, en le rapportant à cavillante. C’est le même sens. Il est naturel à un vil artisan de faire le capable, lorsqu’il a trouvé en faute un Apelle. Combien y a-t-il de petits facteurs, dans nos caffez, qui se croient habiles lorsqu’ils ont relevé un prédicateur sur un point de fait, qui n’est d’aucune importance ? ou sur une éxpression qu’ils n’ont pas trouvée dans le dictionnaire ? Les personnes sages ne sont point si critiques ; elles se contentent de cueillir les fleurs et les fruits, et laissent au présomptueux le misérable emploi de ramasser une épine, ou un caillou.

(M) Denuntiantem ne supra crepidam judicaret. Denuntiare est un terme d’autorité : voyez Ciceron ; Nos vero si quid tale accideret, ut a Deo denuntiatum videatur, ut exeamus e vita, laeti et agentes gratias, pareamus. Tuscu. I. c. 49. La I. ed. porte, ne supra crepidam sutor judicaret : mais il est visible que ce sutor est une gloze, qui ôte à ce bon mot une partie de son sel : il suffit de crepidam, pour faire sentir au correcteur les jutes bornes qu’il devait mettre à sa critique : à peu près comme Apollodore l’architecte disait à Adrien, croyez-moi, retournez à vos citrouilles : parce que ce prince aimoit à les dessiner ou à les peindre : ce qui assurément n’est pas un objet fort sublime. Phèdre a imité ce sarcasme dans son Cordonnier médecin :

Quantae putatis vos esse dementiae,

Qui capita vestra non dubitastis credere,

Cui calceandos nemo commisit pedes ?

Dans :Apelle et le cordonnier(Lien)

, p. 64-66

Mais à propos de Protogene, ne dirons-nous rien de la maniere, dont ces deux grands peintres vinrent à se connoître et à lier entre eux une amitié d’autant plus loûable, qu’elle est rare entre deux personnes du premier mérite, et qui courent la même carriere ? L’histoire en est trop jolie, pour ne pas trouver ici sa place. Protogene vivoit à Rhodes, connu d’Apelle seulement de réputation et par le bruit de ses tableaux. Enfin, à force d’en entendre parler, celui-ci conçoit le dessein d’aller voir lui-même la personne et les ouvrages dont on lui disoit tant de merveilles. Il s’embarque donc pour Rhodes, et arrivé là, il court incessamment chez Protogene. Mais n’y trouvant qu’une vieille, qui gardoit l’attelier de son maître, et un tableau[[3:Une table d’attente, et non pas une toile, comme disent Félibien, de Piles et quantité d’autres ; car en ce tems-là, on ne peignoit que sur le bois. Voyez ci-dessus, p. 45.]] monté sur le chevalet, où il n’y avoit encore rien de peint, où est Protogene ? dit-il à cette femme, qui ne le connoissoit pas. Il est sorti, répondit-elle ; mais afin que mon maître sache qui l’a demandé, ayez la bonté de laisser votre nom. Le voici, reprit Apelle ; et prenant un des pinceaux, qui étoient là, avec un peu de couleur, il dessina, sur le tableau vuide, les premiers linéamens d’une figure[[3:C’est ainsi qu’il faut traduire ce lineam duxit, comme a fait M. de Piles, et non pas un trait, comme l’entendoit M. Perrault.]], avec beaucoup de délicatesse ; et s’en alla. Protogene étant de retour et ayant appris de sa servante ce qui s’étoit passé, on dit qu’il tomba en éxtase, en voyant les traits qui avoient été dessinez. Mais il ne fut pas longtems à en deviner l’auteur. C’est Apelle, s’écria-t-il ; car il n’y a que lui au monde qui soit capable d’un dessein[[3:A la lettre : un ouvrage si achevé, TAM ABSOLUTUM OPUS. Ce n’étoit donc pas une simple ligne. Voy. Perrault, Paral. Tom. I p. 203.]] de cette finesse et de cette legereté ! Sur quoi se sentant piqué d’une noble émulation, il prit lui-même le pinceau, et, avec une autre couleur, il essaya de l’emporter sur ce nouvel émule, en décrivant, sur les mêmes linéamens[[3: Comme pour rectifier ceux d’Apelle : à peu près comme feroit un professeur de dessein, dans une Academie, sur l’ouvrage d’un élève, qui vient de s’éxercer sur le modelle. Car de supposer, comme le fait M. Perrault, que Protogene se contenta de fendre le trait d’Apelle, et ensuite Apelle, celui de Protogene ; rien n’est plus éxtravagant, ni plus monstrueux. Voy. nos Remarques.]], d’autres contours, encore plus corrects et plus délicats que ceux d’Apelle ; et ordonna à sa gouvernante, que si le peintre revenoit, elle n’avoit qu’à lui montrer ce qu’il venait de faire, et lui dire, en même temps, que c’était là l’homme qu’il étoit venu chercher. Ce qui arriva ainsi ; mais Apelle, ne voulant pas qu’il fut dit qu’il eut été surpassé, dans les premiers principes de la peinture, reprit aussitôt le pinceau, avec un peu de couleur, mais différente des deux autres, et, parmi tous ces traits, qui avoient été tracez, il en conduisit de si savans et de si merveilleux, qu’il y épuisa toute la subtilité de l’art. Protogene étant de retour, et ayant distingué ces derniers traits[[3:Par la couleur, différente des deux premieres.]], je suis vaincu, dit-il, et je cours embrasser mon vainqueur ! En effet, il vola au port, à l’instant, où ayant trouvé son rival, et lié avec lui une amitié, qui ne s’est jamais démentie, ils convinrent entr’eux, par rapport au tableau, où ils s’étaient escrimez, de le laisser à la postérité tel qu’il étoit, sans y toucher davantage ; prévoyant bien, comme il est arrivé, qu’il feroit un jour l’admiration de tout le monde, et particuliérement des connoisseurs et des maîtres de l’art. Mais ce précieux monument des deux plus grands peintres, qui furent jamais, a été réduit en cendres au premier embrazement[[3:Arrivé sous l’empire d’Auguste, voy. Suët. ch. 57 et par conséquent Pline n’a point vû ce fameux tableau. Ce qu’il faut bien noter.]] de la Maison d’Auguste, dans le palais, où il était éxposé à la curiosité des spectateurs, toujours nouvellement surpris, au milieu de quantité d’autres des plus excellents et des plus finis, de ne trouver, dans celui-ci, qu’une espèce de vuide, d’autant plus admirable qu’on n’y voyait que trois[[3:  C’est ainsi qu’il faut entendre et qu’il faut lire ce passage, quam tres lineas visum, etc. selon les MS. de Vossius et la correction de Gronovius.]] desseins au simple trait et de la dernière finesse, qui échappaient à la vuë par leur subtilité, et qui par cela même devenoient encore plus rares et plus attrayans pour de bons yeux.

Notes au texte latin, p. 261-263 : 

(X) Lineam ex colore duxit summae tenuitatis per tabulam. Voici un passage qui a été le sujet de bien des contestations. Saumaise et le P.H. après lui, nous avertissent que linea n’est point une ligne de géométrie, mais un trait de pinceau. Ce n’est pas assez ; il faloit ajouter, que lineam ducere, dans cet endroit de Pline, signifie dessiner, faire un dessein, en tracer les prémiers traits. C’est le stile de notre auteur : Apelli fuit alioqui perpetua consuetudo, numquam tam occupatum diem agendi, ut non lineam ducendo exerceret artem, quod ab eo in proverbium venit. Or ce proverbe-là lève la difficulté, nulla dies sine linea, c. à. d. sans dessiner, sans tracer quelques contours, quelque figure, qui signifie quelque chose : car pour ce qui est des traits qui ne signifient rien, comme M. Perrault prétend qu’étoit celui d’Apelle, cela est opposé au bon sens, à l’expérience, et seroit tout à fait indigne d’un homme aussi éclairé que Pline, et qui, selon Félibien, a écrit de cet art avec beaucoup de lumiere.

(Y) Contemplatum subtilitatem. La I. Ed. porte, contemplata subtilitate ; c’est une nouvelle licence des copistes : il n’y a gueres que des auteurs avant Terence, qui aient employé contemplo, are, voyez Nonius, ch. 7 n. 11. Du reste, il ne faut pas s’arrêter ici à subtilitas, comme s’il ne s’agissoit que d’un trait delié : la délicatesse du trait y entroit sans doute pour quelque chose, mais ce n’étoit pas tout, comme Félibien l’a cru, et Perrault après lui. Écoutons le premier : Car ce fut encore par des lignes très déliées qu’Apelle et Protogene disputèrent à qui l’emporteroit l’un sur l’autre ; et Protogene ne ceda à Apelle que quand celui-ci eut coupé (Perrault dit fendu) avec une troisième ligne plus délicate les deux autres qu’ils avoient dejà tracées l’une auprès de l’autre. Voilà où Félibien et Perrault se séparent, Apelle coupa les deux premiers traits, selon le premier, ce qui est plausible ; et selon le second, il les fendit ; ce qui est absurde. Mais ils péchent l’un et l’autre en ce qu’ils ne mettent ici que des lignes. M. de Piles a évité ces deux erreurs : « linea, en cet endroit, ne veut dire autre chose que dessein, ou contour. Pline s’en sert lui-même dans cette signification, nulla dies sine linea. On doit entendre de même subtilitas, non pour donner l’idée d’une ligne très déliée, mais de la précision et de la finesse du dessin : ainsi la subtilité n’est pas dans la ligne, mais dans l’intelligence de l’art, qu’on fait connoître par des lignes. » DE PILES, Vie des peint. grecs, p. 118. 

(Z) Non cadere in alium tam absolutum opus. Ce n’étoit donc pas une simple ligne, un seul trait, puisque c’étoit un ouvrage achevé. Croit-on que Pline eut parlé ainsi d’un simple contour, qui ne signifioit rien ? Ni Félibien, ni Perrault, ni Junius, ni Carlo Dati, ni Monjocosio, ni le P.H. n’y ont pas fait attention.

(A) Tenuiorem lineam penicillo duxisse. C’est la leçon de la I. Vénitienne. La leçon commune porte, tenuiorem lineam in illa duxisse ; c.à.d. ligne sur ligne et contour sur contour, ou, comme dit Perrault, un trait d’une autre couleur qui fendoit en deux celui d’Apelle. C’est un bonheur pour les Anciens, qu’il y ait tant de variétez de lecture dans ce trait d’histoire de notre Pline. Voilà déja la plus ancienne de toutes les Edd. faite probablement sur un des meilleurs MSS qui ne reconnoit point cet in illa ipsa, qui a fait une partie de l’achoppement des critiques et des peintres ; et j’ose bien dire que notre Pline ne se connoissoit pas en peinture, s’il a entendu ici trois linéamens les uns précisément sur les autres, en telle sorte que le second en fit trois ; et que le troisième, enchérissant sur les deux autres, en produisit cinq. C’est une éxtravagance qu’on lui prête ; car vous verrez tout à l’heure, qu’il ne reconnoit que trois desseins, quam tres lineas. Il est vrai qu’à l’égard du second, il le nomme tenuiorem lineam ; mais cela ne veut dire autre chose, sinon qu’un dessein d’une plus grande finesse : or il dit que Protogène y employa le pinceau, penicillo duxisse ; ce mot n’est point là hors d’œuvre ; il aurait pû se servir de la plume, du crayon, de la rubrique, etc., mais il trouva à propos de se battre à armes égales.

(B) Adjiceretque hunc esse quem quaereret. Bien attaqué, bien défendu. La servante de Protogene avoit prié son émule de laisser son nom ; le voici, lui dit Apelle, en prenant un pinceau ; comme s’il disoit, voici des caracteres, qui lui diront qui je suis. De même Protogene, ayant appris de sa gouvernante de quelle maniere il avoit ecrit son nom, lui renvoye la bale avec la même urbanité ; si l’étranger revient, dites-lui que voilà l’homme qu’il est venu voir. Bravo. 

(C) Tertio colore lineas secuit. C. à d. selon l’explication ordinaire, qu’Apelle étant revenu, il avoit refendu le trait de Protogène d’un trait encore beaucoup plus mince. Ce sont les termes de M. Perrault ; mais s’il vivoit encore, je le prierois de se souvenir que jamais personne n’a parlé plus proprement que notre Pline : toutes les fois qu’il s’agit de fendre, il emploie le mot de findere, qui marque presque toujours une ligne droite, perpendiculaire, parallèle, si j’ose parler ainsi ; au lieu que secare est presque toûjours appliqué à une idée plus générale, qui est l’action de trancher, couper, aller au bout par la voye la plus courte, et dans quelque sens que ce puisse être. Ainsi Virgile a dit, ad naves secare viam ; pour dire couper le chemin, l’abrêger : et en géométrie, le secteur de cercle, le segment, les sections coniques, parce qu’elles tranchent et ne fendent point ; en medecine secare venam, parce qu’on y fait une incision un peu oblique ; et dans notre auteur, sectura formantur gemmae, parce qu’on les taille en facettes. Il est vrai que quelquefois il employe secare dans un sens contraire, et en ligne parallèle, mais alors il en avertit par l’idée de la chose même : comme lorsqu’il dit secare marmor in crustas : lignum in laminas, parce qu’on sçait bien que ces sortes de choses ne souffrent pas l’obliquité : si bien que lineam secare n’est point la même chose que lineam findere ; qu’il n’auroit pas manqué de mettre ici, s’il avoit eu la pensée qu’on lui attribue ; du moins il auroit dit, tertio colore lineas secuit medias. Encore y auroit-il eu de l’équivoque, parce qu’on peut couper des lignes par le milieu, sans les fendre. Après cela, M. Perrault a bonne grâce de triompher, à son ordinaire, en prétendant qu’il ne s’agit ici que d’une adresse de main ; à peu près comme celle de l’O de Giotto, aussi rond que s’il avait été fait avec le compas ; qu’un religieux, ami de M. Mesnage, en faisoit autant quand il vouloit ; que divers peintres, qui auroient fendu en dix le trait le plus délicat du Poussin, n’ont fait que des tableaux très médiocres ; il ne s’agit point ici de cela. Il s’agit d’un dessein, au simple trait, d’une grande finesse ; d’un second dessein, en concurrence de celui-là, d’une plus grande finesse encore ; et enfin d’un troisième, où Apelle se surpassa lui-même et ne laissa rien à desirer ni pour la délicatesse du trait, ni pour l’élégance et la perfection des contours. Et pour ce qui est de fendre un trait délicat du Poussin en dix, c’est là une de ces vivacitez qui échappent dans le dialogue, mais que l’on ne pardonneroit pas à un homme éclairé, comme M. Perrault, s’il l’avoit fait de sang froid. Au défaut de son frère l’architecte, qui étoit si grand dessinateur, M. de Piles, son ami, lui auroit fait entendre qu’un trait délicat ne se fend point, au moins dans le sens qu’il prête à Pline, et que la moindre justice qu’on doive à un homme qui avoit vu et admiré tout ce qu’il y avoit alors de plus beau en peinture, n’avoit pas encore perdu l’esprit sur un sujet, où, de l’aveu de Félibien, il a parlé avec beaucoup de lumiere.

(D) Omnium quidem, sed artificum praecipue, miraculo. C’est la leçon de la I. Venitienne, qui est la véritable. La leçon ordinaire porte, praecipuo miraculo ; mais c’est nous éxposer encore aux insultes des Perraults. Car, diront-ils, s’il ne s’agit là que de 3 lignes qui se surmontent l’une l’autre, et que les connoisseurs de ce tems-là aient crié merveille là-dessus, c’est une marque qu’ils n’y entendoient pas finesse. La leçon de Venise pare ce coup : Omnium quidem, sed artificum praecipue, miraculo : c. à. d. que tout le monde admira ces 3 desseins, mais surtout les peintres et les artisans, qui savoient ce que c’étoit, que de joindre à la finesse des traits, la justesse et la dignité des contours. Chacun pouvoit juger du premier article ; peu de personnes pouvoient juger du second. Lisez donc praecipue, et par la construction, omnium quidem, sed artificum praecipue, et par la nature de la chose même, et d’après un MS. de Dalecamp, et d’après l’ed. de Venise, et enfin d’après la I. ed. de Parme, qui contient de très bonnes lectures.

(E) Consumptam eam priore incendio Caesarear domus in Palatio audio. Voici un des endroits de Pline qui a été le plus mal traité. Le plus ancien MS. porte : consumptam eam priore incendio Caesaris domus in Palatio audi spectatam nobis ante spatiose nihil aliud continentem quam tres lineas, etc. Or il est très possible que du olim tanto les copistes aient fait nobis ante ; qui fait un sens ridicule et contradictoire. La I. ed. n’est point éxempte d’une corruption antérieure au MS. de Voss. voici ce qu’elle porte : ante a nobis spectatam, spatiosiore amplitudine nihil aliud continentem quam illineas (si je m’en souviens bien) visum effugientes. Je dis, si je m’en souviens bien, car je n’ai pas marqué cette différence et je n’en ai plus qu’une idée confuse. Quoi qu’il en soit, voilà déjà une corruption plus marquée, SPATIOSIORE amplitudine. La I. ed. de Rome ajouta encore un mot ; consumptam eam CONSTAT, et supprima audio. Les edd. suiv. enchérirent encore sur la falsification ; AVIDE ante a nobis spectatam. Je me détermine pour la correction de Gronovius, ou pour celle que j’ai admise dans le texte, ante a nostris spect. Le P. H. a suivi Gronovius et Pintianus, mais il s’est contenté de quam lineas, au lieu de quam tres lineas, qui éxpliquent si bien le sujet du tableau, savoir trois desseins au simple trait, mais de diverses couleurs, qui les distinguoient les uns des autres, et qui ayant été faits en concurrence par les deux plus grands peintres du monde, devoient être effectivement une des plus grandes curiositez, qu’il y eut alors sur la terre. Écoutons maintenant M. Perrault. Il réfute fort bien Monjocosus, qui avoit entendu trois nüances, et puis il ajoute : « Pline assure qu’il a vu le tableau lui-même, qu’il le regarda avec avidité, peu de tems avant qu’il périt dans l’embrazement du palais de l’Empereur : qu’il ne contenoit autre chose dans toute son étenduë, qui étoit fort grande, que des lignes presque imperceptibles. » Vous voyez que tout cela n’est fondé sur sur des altérations. 1. Le passage est évidemment corrompu, puisque ni les MSS. ni les Edd. ne s’accordent point. 2. Le premier incendie de la Maison des Césars arriva sous Auguste. Suëtone y est formel ; car dans le chap. 57 de sa vie, où pour faire voir combien cet empereur étoit aimé, il rapporte les collectes immenses de cet édifice ; In restitutionem Palatinae domus incendio absumtae, Veterani, Decuriae, Tribus, atque etiam singillatim e cetero genere hominum, libentes ac pro facultate quisque pecunias contulerunt. Voilà donc le I. incendie du Palais des Césars, distinctement marqué, priore incendio Caesaris domus in Palatio. A moins donc que de vouloir faire passer notre Pline pour éxtravagant, il ne faut pas lui faire dire qu’il a vu un tableau, qui n’étoit déjà plus, lorsqu’il est venu au monde. 2. Cette avidité qu’il lui attribue dans l’éxamen du tableau n’est point dans la I. edition ni dans le MS. de Vossius ni dans quelques autres. 3. Ce peu de tems avant qu’il périt, est tout à fait du crû de M. Perrault, et ne se trouve dans aucune édition. 4. Caesarea domus, ou Caesaris, n’est pas bien rendu par le Palais de l’Empereur : car cela voudroit dire, le Palais de Vespasien, qui régnoit alors ; ce qui est une faute d’écolier : car, après Néron, il n’y a plus de Césars. On ne donnoit plus ce nom aux Empereurs : il faloit donc dire la Maison d’Auguste, puisqu’il s’agit du I. incendie arrivé sous son règne ; ou, la Maison des Césars, Caesareae domus. 5. On n’appelle point lignes, des traits qui ont été faits avec le pinceau ; et ce seroit bien mal entendre son Pline, que de lui faire dire qu’Apelle ne passoit aucun jour sans éxercer l’art de tirer des lignes ; quin lineam ducendi exerceret artem ; selon la I. ed. car il est évident que ces lignes sont des desseins. 6. Pline n’en compte que trois, quam tres lineas. Mais si M. Perrault en est cru, il en faudra compter cinq : le trait d’Apelle fendu par celui de Protogene, et ensuite celui-là par un troisième, en voilà assurément cinq. Or qui a jamais ouï parler d’une pareille chose ? Le I. trait étoit déja éxtremement mince, summae tenuitatis et cependant le voilà partagé en bien des parties. De bonne foi, croit-on que Pline éxtravaguoit ? M. Perrault, en se mocquant des Anciens, soupçonne que la plus grande partie de leur art consistoit dans cette finesse de traits ; je le veux : il doit donc convenir qu’Apelle et Protogne y éxcelloient : or, je vous prie, est-ce là un si grand coup pour un Apelle, que d’ouvrir le combat, par un trait si grossier en sa superficie qu’il y aura place pour quatre autres ? Si cela est, il faut convenir qu’il n’étoit pas fort habile et que toute l’Antiquité, avec notre Pline, ont été bien bêtes, d’élever jusques aux nuës un pinceau qui débuttoit si mal.

Dans :Apelle et Protogène : le concours de la ligne(Lien)

, p. 63-64

Le fort de son pinceau a été la GRÂCE, comme on l’appelle, c’est-à-dire, ce je ne sçai quoi de libre, de noble et de doux, en même tems, qui touche le cœur et réveille l’esprit : article sur lequel il a laissé bien loin derrière lui tous les grands maîtres de son tems, qui n’étoient pas en petit nombre. Car lorsqu’il admiroit leurs ouvrages et qu’il en faisoit l’éloge en détail, par rapport aux diverses parties de la peinture, il concluoit en disant, qu’il n’y manquoit que la seule grace[[3:Quintilien lui donne l’esprit et la grace, au-dessus des autres peintres, et confirme la même ingénuïté, dont il faisoit profession.]], comme s’expriment les Grecs, ou sa seule Venus, comme nous parlons nous autres Latins ; ajoutant qu’à la vérité ses confreres, ou ses emules, éxcelloient en toute autre partie ; mais qu’à l’égard de celle-là, elle lui étoit échuë en propre, et que personne ne pouvoit légitimement lui en disputer la palme. [[2:Comment il se rendoit justice]] C’est ainsi qu’avec une ingénuité, digne du vrai mérite[[3:Il y a des occasions, où la vérité vaut mieux que la modestie ; et chacun sçait la réponse du prince Maurice, à celui qui lui demandoit quel étoit le premier general du siécle ? Spinola est le second, dit ce prince.]], il se plaçoit lui-même au-dessus de tous les peintres de son siécle, sur un talent qui ne s’acquiert point. [[4:suite : nimia diligentia]]

Notes au texte latin, p. 259 : 

(M) Praecipua ejus in arte venustas fuit. Venustas ; c. à. d. la Grace, l’agrément, ce je ne sçai quoi de libre, de vif, ou, pour mieux dire, de céleste, dit Félibien, qui ne se peut apprendre, et que les paroles mêmes ne sont pas capables de bien éxprimer. On dit que Raphaël a possédé cette partie au souverain degré. Aussi avoit-il bien des choses qui lui étoient communes avec le peintre grec : voyez Felib. Tom. I. p. 182.

(N) Omnibus conlaudatis, deesse iis unam illam suam venerem dicebat. C’est la leçon de Venise, préférable, à mon gré, à toutes les autres. Celle du P. H. porte, unam venerem : mais ce n’est pas assez ; illam suam doit être de la partie. Apelle étoit un homme ingénu, qui, en convenant du mérite des autres, ne faisoit point la petite bouche sur le sien propre. Ingenio et gratia, quam in se ipse maxime jactat, Apelles est praestantissimus ; dit Quintilien, liv. 12 ch. 10. Il semble que ce peintre avoit laissé échapper, dans ses livres, ce sentiment vif qu’il avoit de la beauté de son pinceau, et que le rhéteur y fait allusion ; quam in se ipse maxime jactat : car autrement il auroit dit, jactavit. J’ai donc bien fait, ce me semble, de préférer une leçon, qui convient bien au caractère du personnage. Les plus grands hommes ont avoué ingénument leurs défauts, comme leurs bons endroits. Les peintres surtout n’ont point été muets sur cet article. On a vû Zeuxis, on a vû Parrhase se donner les plus grands éloges ; et il n’est pas étonnant qu’Apelle ait senti sa supériorité sur un talent qui ne s’acquiert point, et qu’il l’ait reconnuë devant tout le monde. 

(O) Sed hac sola sibi neminem parem. C’est la leçon d’un MS. de Dalecamp : d’autres portent, hoc solo sibi… La I. de Venise, sed hoc sibi neminem parem. Le P. H. sed hac soli sibi neminem parem. Le sens est le même partout ; mais je ne suis point pour soli, qui n’ajoute rien au sens. Prenez garde qu’Apelle accordoit à ses emules toutes les autres parties de l’art ; cetera omnia contigisse ; mais qu’il leur refusoit la grace, au moins dans le dégré qu’il possédoit, sed hac sola sibi neminem parem : ce n’étoit donc qu’en ce seul article, où il prétendoit n’avoir point d’égal. Ciceron raisonnoit à peu près de même sur le talent qu’il avoit de bien écrire : Nam philosophandi scientiam concedens multis : quod est oratoris proprium, apte, distincte, ornate dicere, quoniam in eo studio aetatem consumsi, si id midi adsumo, videor id meo jure quodam modo vindicare. Offic. Liv. I. ch. I.

Dans :Apelle supérieur par la grâce(Lien)

, p. 76

Pour achever de donner une juste idée de ce grand peintre, il faut ajouter ici, qu’il osa peindre ce qui ne se peint point et que personne avant lui n’avait encore tenté, comme la foudre, les éclairs, le tonnerre ; en un mot, tous ces miracles, que les Grecs ont désigné depuis par différens noms[[3:Bronten, Astrapen, Ceraunoboliam adpellant. c. à d. la Foudre, les Éclairs, le Tonnerre.]].

Note au texte latin, p. 273 :

(C) Pinxit et quae pingi non possunt. C’est une façon de parler, pour dire qu’il peignit ce qui ne s’étoit jamais peint, ce qu’on ne peint guere : de même dans Apulée, Métam. l. 2. Hic vitrum fabre sigillatum ; ibi crystallumm inpunctum ; argentum alibi clarum, et aurum fulgurans et suctinum mire cavatum in lapide, ut bibas ; et quiquid fieri non potest, ibi est. À moins que notre auteur ne veuille dire, que la foudre et les éclairs, qu’Apelle entreprenoit de peindre, étoient au-dessus des forces de la peinture. En effet, elle échoue ordinairement dans les grandes lumières, non par le défaut de l’art, mais par celui des couleurs, qui n’ont jamais l’éclat du feu, et qui perdent leur vivacité en peu d’années.

(D) Tonitrua, fulgura, fulgetraque, etc. Nous avons suivi le MSS. de Voss. et la I. ed. qui est appuyée de celle de Rome ; et pour ce qui est des termes grecs, que Pintianus voudroit retrancher comme la gloze d’un interpolateur, il se trompe visiblement, parce que c’est la coutume de Pline d’indiquer en cette langue, les raretez d’alors, qui étoient connuës des curieux, grecs ou latins. C’est ce qu’on a vû pendant tout le cours de cette histoire : et à l’égard de la chose même, voyez de quelle maniere Jules Romain s’est élevé jusqu’à cette partie de la peinture, qui lance la foudre et qui met le ciel et la terre tout en feu ; Félibien vous en donnera une belle description, dans le 2. Tome de ses Entretiens, p. 118. Je suis fâché de n’avoir pas assez d’espace pour la transcrire, et je ne veux pas la gâter en n’en rapportant que des lambeaux.

Dans :Apelle et l’irreprésentable(Lien)

, p. 64

[[4:suit Apelle grâce]] C’est ainsi qu’avec une ingénuité digne du vrai mérite, il se plaçoit lui-même au-dessus de tous les peintres de son siécle, sur un talent qui ne s’acquiert point. Mais comme Protogene étoit celui de tous ses contemporains, qui pouvoit, avec le plus de fondement, entrer en concurrence avec lui, sur le fait de la peinture, voici de quelle manière il fit sentir aux connaisseurs la supériorité qu’il avoit sur le peintre de Rhodes : car sur ce qu’on lui faisoit regarder, un jour, une pièce excellente de ce dernier, où, en effet, il y avoit un travail immense, et qui ne pouvoit venir que d’une application d’esprit éxtraordinaire et peut-être excessive, il s’en expliqua de cette sorte : Protogene et moi, nous possédons à peu près, dans un même degré, les diverses parties de la peinture, et peut-être même, qu’il en sçait plus que moi sur bien des choses, que je lui laisse. Mais enfin il y a un article considérable, où je l’emporte sur lui, c’est qu’il ne sçait pas quitter le pinceau[[3:La I. de Venise porte, c’est qu’au moins je sçai quitter le pinceau. Voy. Nos remm.]]. Paroles mémorables, et d’où nous pouvons recueillir cette maxime de la derniere utilité[[3:Ciceron et Quintilien ont fait honneur à Apelle de cette maxime, et l’ont appliquée à l’éloquence : on le verra dans nos remarques.]] : c’est qu’il n’y a rien de plus nuisible à nos meilleurs ouvrages, qu’une éxactitude trop rigoureuse, et pour ainsi dire, trop peinée. Mais si Apelle avait beaucoup de capacité dans son art, et beaucoup d’ingénuité à reconnoître son propre mérite, il faisoit voir autant de lumière et de droiture[[3:En cette considération, on peut lui pardonner sa franchise sur le reste.]], quand il s’agissoit de prononcer sur le mérite des autres, lors même que c’était sur certains points où il se mettoit au-dessous d’eux.

Notes sur le texte latin, p. 259-260 :

(Q) Cum Protogenis opus immensis laboris, ac curae supra modum. M. Felibien croit que ce tableau de Protogène étoit son Ialysus, dont il sera parlé en son lieu ; quoique Pline ne le dise pas. Cependant, comme ce tableau étoit à Rhodes, et qu’Apelle y fit un voyage exprès pour voir les chefs-d’œuvre de Protogène, il est assez vraisemblable que la chose se passa comme dit Plutarque, dans la vie de Demetrius : « Car on dit que Protogène demeura sept ans à le parfaire, et dit-on encore plus, qu’Apelles lui-même, quand il le vit, fut si fort esprins d’esbahissement, que la parole lui faillit et demeura un long espace sans mot dire, et qu’à la fin il lui dit : Voilà un ouvrage admirable et un très grand labeur ; mais les Grâces lui défaillent, pour lesquelles ceux que je peings atteignent jusques au Ciel. Voilà cet opus immensi laboris. Pour ce qui est de ce curae supra modum anxiae, qui éxprime si bien la délicatesse, ou plustôt la morosité d’un artisan, qui aspire à la perfection, notre auteur en fait encore mention au sujet du même tableau, anxio animi cruciatu, cum in pictura verum esse, non verisimile vellet. Ci-dessous à l’article de Protogene.

(R) Sed uno se praestare, quod manu mille de tabula non sciret tollere. C’est la leçon du MS de Voss. La I. ed. est ici fort differente de toutes les autres : sed uno se praestare, quia manum de tabula sciret tollere ; mais il y a un article, où je l’emporte sur lui, c’est qu’au moins je sçai quitter le pinceau. Ce tour revient assez à l’ingénuité du personnage. Quoi qu’il en soit, notre auteur a raison d’ajouter à ce propos, memorabili praecepto, nocere saepe nimiam diligentiam : il faut que tout ce que nous faisons ait un air libre, dégagé, naturel, et qui ne paroisse pas nous avoir coûté. Pour cela, il faut que tous les traits soient nécessaires, et qu’il n’y ait rien de superflu. Si vous allez au-delà, vous gâtez l’ouvrage, vous l’énervez, vous rompez la vivacité des traits, et j’ai ouï dire à un très habile homme, Qu’il seroit à souhaiter qu’un peintre réussit dès les premiers coups, sans être obligé de les retoucher, et encore moins de les réformer. Il n’en est pas de même de la poësie et de l’éloquence, parce qu’on y peut toûjours revenir, avant la publication. Cependant il faut aussi que chaque piéce ait ses justes bornes : In omnibus rebus videndum est QUATENUS : et si enim suus quisque modus est, tamen magis offendit nimium quam parum : in quo Apelles pictores quoque eos peccare dicebat, qui non sentirent  QUOD ESSET SATIS. CICER. In Oratore. QUINTILIEN est du même avis : Sit igitur aliquando quod placeat, aut certe quod sufficiat, ut opus poliat lima, non EXTERAT.

Dans :Apelle et la nimia diligentia(Lien)

, p. 44

[[2:Couleurs primitives des anciens peintres]] Sur quoi, je ne saurois m’empêcher, à la vuë d’une si grande varieté de couleurs et de coloris, d’admirer la sagesse et l’œconomie de l’Antiquité. Car ce n’est qu’avec quatre couleurs simples et primitives, que les anciens peintres ont éxécuté ces ouvrages immortels, qui font encore aujourd’hui toute notre admiration : le blanc de Melos, le jaune d’Athenes, le rouge de Sinope, et le simple noir ; voilà tout ce qu’ils ont employé ; et néanmoins c’est avec ces quatre couleurs bien mênagées, qu’un Apelle, un Echion, un Melanthe, et un Nicomaque, les plus grands peintres[[3:Il en sera parlé ci-dessous.]], qui furent jamais, ont produit ces pièces miraculeuses, dont une seule suffiroit pour acheter toutes les richesses d’une ville. Et aujourdhui que la pourpre même regorge jusqu’au haut de nos murailles[[3:Qu’on peignoit alors avec grand soin, comme on a fait depuis, au commencement du XVI siècle, et entr’autres, du tems d’Holbein, dont on a encore de beaux restes à Basle.]], et que L’inde nous envoye en abondance la crême de ses fleuves[[3:L’indigo oriental, dont il a parlé ci-dessus, n. 20 pag. 42.]], avec le sang de ses dragons[[3:Le cinnabre, ou sang de dragon : voyez ci-dessus, n. 17 où il a rapporté une fable sur la foi de ses auteurs ; pag. 34.]] et de ses éléphans, il ne sort plus de nos mains une peinture qui fasse du bruit, ni qui soit digne de porter ce nom. Tant il est vrai, que tout étoit meilleur dans le tems de la disette ; et je n’en suis pas surpris ; j’en ai indiqué ci-dessus la véritable cause. On s’attache plus aujourdhui à la richesse de la matière[[3:[5] Denys d’Halicarn. dit la même chose des peintures modernes de son tems.]], qu’à la grandeur et à la force des traits, qui font l’âme de la peinture : on cherche plustôt à faire un ouvrage de grand prix, du côté de la dépense, que du côté du génie et de la dignité de l’art.

(U) Quattuor coloribus solis inmortalia opera illa fecere. Bien entendu que de ces 4 couleurs primitives, ils en formoient toutes les autres dont ils avoient besoin. Ces quatre couleurs étoient le Blanc de Melos, Melinum : voyez ci-dessus, p. 192. Le Jaune d’Athenes, ex silaceis, Attico : s’il est donc proprement l’ochre et non pas le bleu, comme l’avoit d’abord cru Herm. Barbarus, voyez ci-dessus, p. 195. Le Rouge de Sinope, ex rubris, Sinopide Pontica. Voyez ci-dessus, p. 189. Et enfin le noir, ex nigris, atramento. Voyez ci-dessus, p. 201. Voilà les 4 couleurs en question ; dont ils composoient toutes les autres, avec la même facilité que nous faisons aujoudhui. Car enfin ce n’est ni le nombre, ni la varieté, ni la vivacité des couleurs, qui font la beauté de la peinture : c’est plustôt l’art de les tempérer, de les unir, et de les assortir au sujet : et encore tout cela ne regarde que la partie du coloris. Il y a ensuite la perspective, le clair-obscur, l’entente des lumieres, l’union et le mariage des couleurs : et puis le dessein, qui varie en tant de manieres, selon tous les objects différens de la Nature et de nos Idées mêmes, qui doivent la surpasser : ensuite les expressions de grandeur, de noblesse, de force, de divinité, de douceur, de colere, de pitié, d’amour et de haine, de douleur et de desespoir, qui varient aussi selon les sujets, les âges et les personnes ; et enfin la composition du tout ensemble, qui doit faire une harmonie aussi délicieuse pour les yeux, qu’un beau concert le doit etre pour les oreilles. Ce n’est donc pas la varieté des couleurs qui fait le sublime de la peinture. Quatre couleurs bien mênagées par un Apelle suffisent pour cela : et de là vient la différence énorme que notre Pine a remarquée entre les pièces anciennes et celles de son tems. Les premieres étoient des miracles, que toutes les richesses d’une ville ne pouvoit pas payer : cum tabulae eorum singulae oppidorum venirent opibus. Les autres n’avoient qu’un éclat trompeur, qui surprenoit d’abord la vuë, mais qui aussitôt dégoutoit l’esprit : nulla nobilis pictura est. Voyez ci-dessus, p. 187. Note A.

(X) Fluminum suorum limum. C’est la couleur de l’Inde, dont il a parlé ci-dessus, p. 219.

(Y) Draconum elephantorumque saniem. C’est le cinnabre, ou sang de dragon, dont il a parlé au Liv. 33. Voyez ci-dessus, p. 208.

(Z) Quoniam rerum, non animi, pretiis excubatur. C’est la leçon ordinaire, confirmée par la I. Venitienne. Pintianus n’en est pas content. Il voudroit qu’on lût ; res non manupretiis aestimabantur on n’estimoit pas les choses par le prix qu’elles coûtoient, c. à. d. dans le bons tems, dans le siècle des Apelles et des Protogenes. Mais cette correction n’est pas nécessaire. On voit assez que notre auteur censure son siècle du mauvais goût qu’on avoit alors, de n’estimer les choses qu’à proportion de la dépense qu’on y avoit faite. Pretiis excubatur rerum, non animi. On s’étudie à faire des peintures qui coûtent beaucoup, mais on a peu d’égard aux beautez réelles, qui touchent l’ésprit, qui vont à l’ame, qui remuent les passions et qui éxcitent dans les cœurs l’amour de la vertu. Ecoutons Félibien dans l’article du Tintoret. « Quoi qu’il eut toûjours en vuë le coloris du Titien et le dessein de Michel-Ange, il craignoit bien plus de manquer dans le dessein que dans la couleur, disant même quelquefois, que ceux qui vouloient avoir de belles couleurs pouvoient en trouver dans les boutiques des marchands ; mais que pour le dessein, il ne se trouvoit que dans l’esprit des excellents peintres. Il ajoutoit encore à cela que le blanc et le noir étoient les couleurs les plus précieuses dont un peintre pouvoit se servir ; parce qu’avec celles-là seules, on peut donner du relief aux figures et marquer les jours et les ombres… Il préféroit le feu de l’imagination et l’abondance des éxpressions à tout ce qui regarde l’achevement d’un ouvrage. C’est pourquoi certains peintres flamands, qui venoient à Rome, lui ayant montré quelques têtes qu’ils avoient peintes et finies avec beaucoup de soin et de tems, il leur demanda combien ils avoient été de tems à les faire ? Et sur ce qu’ils lui dirent qu’ils y avoient travaillé durant plusieurs semaines, il prit du noir avec un pinceau, et en trois coups dessina, sur une toile, une figure qu’il rehaussa avec du blanc ; puis se tournant vers les étrangers, Voilà, leur dit-il, comme nous autres, pauvres peintres vénitiens, avons accoutumé de faire les tableaux… Un jeune peintre de Bologne l’étant allé voir, et lui demandant ses avis pour devenir bon peintre, il ne lui dit autre chose, sinon qu’il faloit dessiner : ce qu’il lui répéta tant de fois, qu’il fit bien comprendre que le dessein est la base et le fondement de tout cet art. Son sentiment étoit qu’il n’y avoit que ceux qui étoient déjà bien avancez dans le dessein, qui devoient travailler d’après nature ; parce que la pluspart des corps naturels manquoient beaucoup de grace et de beauté… que cet art est tel, que plus on y avance, plus on y trouve de difficultez : qu’il ressemble à une mer, qui n’a point de bornes, et qui paroît toujours plus grande à mesure que l’on vogue dessus. » Entret. sur les vies des PP. Tome 3. p. 107. Ed. de Holl. Voilà des réflexions qui reviennent assez aux idées de notre Pline, et des peintres de l’Antiquité.

Dans :Apelle et la tétrachromie(Lien)

, p. 73

Ce tableau, qui étoit incomparable, a eû l’honneur d’être célébré par une foule de grands poëtes, tant grecs que latins, et on peut assurer que si la peinture y a été surpassée par la poësie, elle en a été non seulement illustrée, mais même couronnée : et c’est beaucoup que de l’avoir été, pour ainsi dire, de la propre main de sa rivale. [[1:Et qu’on ne dise point que la poësie reste, mais que la peinture n’est plus ; car cette poësie roule sur cette peinture, et si nous n’avions eû celle-ci, nous n’aurions jamais eû celle-là. La gloire de l’une a donc été conservée et consacrée même par le ministère de l’autre.]] Voici de quelle manière l’ouvrage immortel a péri. Dès le tems d’Auguste, l’humidité en avoit déja gâté la partie inférieure. On chercha quelqu’un, de la part du prince, pour la retoucher ; mais il ne se trouva personne qui fût assez hardi pour l’entreprendre : ce qui augmenta la gloire du peintre grec, et la réputation de l’ouvrage même.

Note sur le texte latin, p. 269-270 :

(H) Versibus aliquot Graecis, tali opere dum laudatur victo, sed inlustrato. C’est la leçon de la I. Venitienne. Celle de Rome porte, Victa, sed illustrata : un MS. de Dalecamp, versibus aliquot Graecis collaudato et opere et pictore : c’est une corruption du texte. Hermolaus, qui travailloit sur l’édition de Parme, remet victo et illustrato, et s’appuye, dit-il, sur les MSS. Sans cela je lirois volontiers : Venerem exeuntem e mari Divus Augustus dedicavit in delubro Caesaris patris. Anadyomene vocatur ; versibus aliquot graecis, tantopere dum laudatur, victa, sed illustrata. Cujus inferiorem partem, etc. Cujus est de l’ed. de Venise : aliquot est dans un MS. de Dalecamp. Victa et illustrata sont de l’ed. de Rome. Tantopere dum laudatur, est du style de Ciceron, voyez Tusc. l. 3 cap. 8. L. Pisonis cognomen tanto opere laudatum : et partout ailleurs. Le quae Anadyomene vocatur, ne vient pas bien après delubro Caesaris. Enfin, j’avouë que ces 3 ablatifs de suite m’ont fait quelque peine, VERSIBUS graecis, tali OPERE… VICTO et illustrato. Cependant, je ne change rien ; parce que le sens est bon ; tali opere, c. à. d. tam absoluto, tam excellenti opere ; comme il a dit ailleurs, OPERIS absolutissimi, OPERUM claritates, opus immensi laboris, et du Laocoon, OPUS omnibus et picturae et statuariae artis praeponendum. J’ajouterai ici en passant qu’il semble que notre auteur élève la poësie au-dessus de la peinture, puisqu’il tombe d’accord que les vers qu’on fit sur cette Venus, surpasserent le pinceau d’Apelle. Ce jugement fait beaucoup d’honneur aux poëtes ; mais aussi le même Pline nous dira bientôt qu’Apelle, dans un autre sujet, s’élève au-dessus d’Homere : c’est une consolation pour les peintres. Voyez, sur cette fameuse question, le Songe de Philomathe, dans Félibien ; la Poësie y avance d’assez bonnes raisons en sa faveur, mais elle y débite de très méchants vers, et si elle gagne son procès au tribunal de l’esprit, elle le perd assurément à celui de l’oreille. Voyez encore M. de Piles, à la fin de son Cours de peinture, p. 420.

(I) Non potuit reperiri. C’est qu’il n’y eut point de peintre assez hardi pour éxposer son pinceau à côté de celui d’Apelle : cette modestie est fort sage. Deux degrez de lumiere envisagez séparément ne marquent pas toûjours une différence sensible : mais placez l’un à côté de l’autre, on ne sçauroit gueres s’y tromper. A moins donc qu’on ne soit sûr de son fait, les comparaisons sont fâcheuses. Carlo Maratti a fait paroître le même respect pour les ouvrages d’un autre Apelle. Car lorsqu’il fut choisi, comme le premier peintre de Rome, pour mettre la main au plafond du petit-Farnese, il ne se crut pas digne de mêler son pinceau avec celui de ce grand homme, mais se contenta de retoucher au pastel ce qui étoit le plus gâté ; afin, dit-il, que, s’il se trouve un jour quelqu’un plus digne que moi d’associer son pinceau avec celui de Raphaël, il puisse effacer mon ouvrage, pour y substituer le sien. Refl. sur la P. et la P. t. 2 p. 116.

Dans :Apelle, Vénus anadyomène (Lien)

, p. 73

Apelle en avoit fait une autre[[5:Vénus.]], dans sa patrie, qui, selon lui et selon tous les connoisseurs, devoit surpasser la première ; mais la mort envieuse l’arrêta au milieu de l’ouvrage, lorsqu’il n’étoit encore parvenu qu’à la naissance de la gorge. Cependant ce qu’il en avoit fait, et qui nous reste encore, promettoit un chef-d’œuvre des plus accomplis ; et pour comble de gloire, il ne s’est trouvé encore personne, ni en Grèce, ni en Italie, qui ait osé y porter le pinceau, quoique l’esquisse en soit très distincte et les contours bien déterminez.

(K) Et aliam Venerem Cois. C’est la leçon de la I. Venitienne, éxcepté qu’elle porte seulement Coi, ce qui marqueroit le lieu, où il l’a travaillée ; au lieu que Cois donneroit à entendre pour qui : savoir pour ses compatriotes, les habitans de la Ville et de l’Isle de Cô : où apparemment il mourut ; Invidit mors peracta parte. Ciceron nous apprend ce qu’il en avoit fait, et il compare ses restaurateurs à cet ancien peintre. Comme Apelle, dit-il, acheva divinement bien la tête et la gorge de sa Vénus, et laissa tout le reste seulement ébauché ; de même j’ai trouvé ici des gens qui ont bien travaillé autour de ma tête et puis c’est tout. Famil. I. Ep. 9. De son tems, elle étoit encore dans l’île de Cô, comme un monument précieux de la gloire de leur peintre : voyez ci-dessus p. 181 col. 1, à moins que ce ne soit l’autre Vénus, qui étoit finie, et qu’Auguste acheta d’eux, en leur remettant la somme de cent talents, du tribut qui leur avoit été imposé de la part de la Rép. Romaine. Voyez Strabon, liv. XIV p. 657.

(L) Ad praescripta lineamenta. C’est le terme propre pour marquer les contours d’un ouvrage de peinture, ou de sculpture. Écoutons Ciceron dans la 4. Verrine, s’addressant à sa partie : Tu videlicet solus vasis corinthiis delectaris ? Tu illius aeris temperantiam, tu operum lineamenta sollertissime perspicis ? C’est ce qu’un poëte, contemporain de notre Pline, éxprime de cette maniere, dans un de ses poëmes :

Artificum veteres agnoscere DUCTUS.

Et plus bas,

Linea quae veterum longe fateatur Achillem.

Vous voyez, qu’il ne s’agit pas là d’une ligne : car du tems de Domitien, ces coups déscrime entre Apelle et Protogene ne subsistoient plus : il s’agit proprement de cette élégance et de cette noblesse des contours d’Apelle, qui le découvroient d’abord aux yeux des connoisseurs. Voyez toute la pièce, STACE, liv. 4. in Hercule Nonii Vindicis, n. 6. Elle est digne de votre curiosité.

Dans :Apelle, Vénus inachevée(Lien)

, p. 96

Lysippe même, qui étoit si grand sculpteur, peignoit en cire dans l’Isle d’Egine, vis à vis du Pirée ; et cela est si vrai, qu’ayant fini une de ses meilleures pièces, en ce goût-là, il y mit cette inscription, en langue gréque : LYSIPPE L’A PEINT AU FEU. Ce qu’il n’auroit pas écrit si positivement, si la peinture caustique n’avoit pas été en usage avant lui. Car il faut savoir qu’ordinairement les inscriptions étoient plus modestes, et que les grands artisans se contentoient de mettre au bas de leurs ouvrages, Un tel le peignait, Un tel y appliquoit le feu ; jusque-là même, que nous n’avons que trois morceaux de l’Antiquité, où ils aient écrit : Un tel l’a fait ; un tel l’a peint ; un tel l’a éxécuté à l’aide du feu ; et cette pièce de Lysippe est un de ces trois morceaux : ce qui fait présumer, qu’il en étoit fort content, que la pièce étoit éxcellente, et que par conséquent, la peinture caustique n’étoit pas alors si nouvelle.

Note au texte latin sur Nicias, p. 185 :

(T) Nicias se inussisse. La I. de Venise porte, quam Nicias scripsit se inussisse. C’est un éxemple des libertez que se permettoient les copistes, ou les éditeurs. J’ôte le quam, et je lis ainsi tout le passage. Nemeam sedentem supra Leonem, palmigeram ipsam ; adstante cum baculo sene, cujus supra caput, in tabula, biga dependet : Nicias scripsit se inussisse ; tali enim usus est verbo. Ce qui ne fait aucun sens, parce que Nicias avoit couché l’inscription en grec, et que cette langue lui étoit naturelle, pusiqu’il étoit d’Athènes. Dans la version de Du-Pinet, c’est le tableau qui parle, Nicias m’a brûlé. Il parle encore dans la version anglaise, Nicias me inussit. Mais dans l’original, c’est le peintre qui parle : Ο ΝΙΚΙΑΣ ΕΝΕΚΑΥΣΕΝ. Nicias inussit : Nicias l’a peint au feu, ou à l’aide du feu. C’est par rapport à une certaine manière de peindre en cire, dont on reparlera dans la suite. Du reste, le P. H. suppose que c’est ici la clé d’un passage difficile de la Préface, que je vais rapporter. Me non paenitet nullum festiviorem excogitasse titulum : et ne in totum videar Graecos insectari, ex illis mox velim intellegi pingendi fingendique conditoribus, quos in libellis his invenies, absoluta opera et illa quoque, quae mirando non satiamur, pendenti titulo inscripsisse : ut Apelles faciebat, aut Polyclitus : tamquam inchoata semper arte et inperfecta, ut contra judiciorum varietates superesset artifici regressus ad veniam, velut emendaturo quicquid desideraretur, si non esset interceptus. Quare plenum verecundiae illud est, quod omnia opera tamquam novissima inscripsere et tamquam singulis fato adempti. Tria non amplius, ut opinor, absolute traduntur inscripta ille fecit, quae suis locis reddam. Ce sont ces trois derniers mots, qui font la difficulté. Pline donne sa parole, qu’il marquera ces 3. ouvrages, dont les inscriptions ne sont pas si modestes que les autres : et cependant cela ne paraît point dans le cours de son Histoire. Voyons de quelle maniere le P. H. ajuste ceci. 1. Premièrement il trouve ici 2. tableaux de Nicias, avec la même inscription : atque adeo, dit-il, e tribus operibus, quae absolute fuisse inscripta, ille fecit, Plinius indicavit, in Praef. ad Titum, duo haec sunt Niciae. C’est-à-dire, qu’il s’est heurté contre la bige, qu’il regarde comme un tableau différent de la Némée, mais pourtant de Nicias, et l’un et l’autre avec la même inscription. Pour moi j’avouë que je ne suis point si pénétrant. Pline ne dit point, même selon la lecture ordinaire, que la Bige fut de Nicias : cujus supra caput tabula bigae dependet. Nicias scripsit se inusisse. Ce n’est pas encore tout, il faudra que cette Bige, dans la liste des Œuvres de Nicias, comme on y trouve la Némée, et avec toutes les autres, et c’est ce que je n’ai pû découvrir. 2. Pour achever de trouver son nombre, le P. H. indique pour dernière pièce, celle de Lysippe, dont il est parlé ci-dessous, à la § 39. Lysippus quoque Aeginae picturae suae inscripsit ΕΝΕΚΑΥΣΕΝ, quod profecto non fecisset, nisi encaustica inventa. C’est aux savans à juger si la seconde de ces pièces est aussi bien prouvée que les 2. autres.

Dans :« Apelles faciebat » : signatures à l’imparfait(Lien)

, p. 77-79

Un de ses plus fameux contemporains est Aristide de Thèbes. À la vérité, il ne possédoit pas l’élégance et les graces, dans le même degré qu’Apelle ; mais il est le premier, qui par génie et par étude, se soit fait des regles sûres pour peindre l’ame et les sentimens les plus intérieurs de la nature humaine. C’est ce que les Grecs appellent les mœurs, et que nous appelons les passions. Or il éxcelloit dans les passions fortes et véhémentes, aussi bien que dans les passions douces ; quoique son coloris eût quelque chose de dur et d’austere. On a de lui cet admirable tableau, où, dans le sac d’une ville, est représentée une mere qui expire d’un coup de poignard, qu’elle a reçu dans le sein, et qui, au milieu des horreurs qu’elle voit et des douleurs qu’elle souffre, s’intéresse pourtant pour un enfant qui lui reste, et qui se traîne jusqu’à sa mammelle pour la teter. Mais la mere, en expirant, paroît encore s’appercevoir de ce nouveau danger, et craindre que son fils, au lieu du laict qu’il demande, ne trouve que du sang, et que cette étrange nourriture ne lui soit fatale[[3:Les Anciens étoient si charmés de cette piéce, qu’ils l’ont célébrée par diverses poësies, qui nous restent encore. Une des épigrammes, qui ont été faites sur ce sujet, dit que l’amitié d’une mere se réveille, même dans le tombeau. Les Modernes n’ont pas manqué de l’imiter. Il y a un tableau dans la Pest-huys de Leide sur ce sujet, qui est admirable.]]. Alexandre, qui aimait tant les belles choses, fut si enchanté de cette pièce, qu’il la fit emporter de Thèbes, où elle était, jusqu’à Pella, lieu de sa naissance. […] Enfin on en a encore un Malade, qui est admiré de tout le monde, et loûé sans fin et sans cesse. Ce grand homme étoit si habile à éxprimer la langueur, tant du corps que de l’ame, que le Roi[[3:Le même dont on a parlé ci-dessus, §14.]] ATTALE, grand connoisseur en ces sortes de choses, ne fit point difficulté de donner[[3:15000 livres ster. à 600 Ec. le talent.]] cent talens pour un de ses tableaux, où il ne s’agissoit que d’une éxpression de cette nature.

Note au texte latin, p. 274 :

(G) Et sensus expressit quos vocant Graeci ἤθη. Nous avons suivi la conjoncture de Gronovius. Les MSS. de Voss. de Pintianus et quantité d’autres lisent hominis. La I. ed. de même ; et celle de Rome, omnes : c’est une corruption d’humanos, qui est la vraye lecture. Un des MSS de Voss. Ajoute, id est, perturbationes. Cette lecture est très mauvaise. Les Grecs distinguaient les mœurs, des passions ; et les Latins aussi ; voyez ce qu’on a rapporté là-dessus de Quintilien, à la pag. 239 col. I. La I. ed. porte idem, perturbationes : cette lecture est très bonne. Car ceux qui savent peindre les mœurs, c. à. d. les passions douces, légitimes et vertueuses, ne savent pas toujours peindre les passions fortes, la terreur, la colère, la rage, le désespoir, et choses semblable. Raphaël, le Poussin, Coypel, ont excellé dans le premier genre ; Jules Romain, le Brun et quelques autres ont excellé dans le second. Il y en a pourtant qui ont réuni ces deux caractères, et Aristide eut ce bonheur-là : Is omnium primus, animum pinxit et sensus humanos expressit, quae vocant Graeci ἤθη: voilà pour les passions douces et les sentiments humains, et voici pour les passions fortes et les troubles de l’âme : Idem perturbationes : durior paulo in coloribus. C’est l’ordinaire de ces peintres qui s’élèvent jusqu’au sublime de la peinture, de négliger le coloris. Le Brun, à ce qu’on prétend, est tombé dans ce défaut : voyez de Piles, dans la balance des peintres.

(H) Intelligitur sentire mater et timere. C’est la leçon des MSS. et des edd. éxcepté de la I. Venitienne, qui, par l’addition d’une seule lettre, fait un sens tout à fait opposé au veritable : Intelligiturque sentire matrem et timere, ne emortuo lacte sanguinem lambat. C’est un copiste peu attentif, qui a rapporté intelligitur à infans, qui précéde, et qui a été ravi de donner à ce jeune enfant un discernement qu’il ne doit pas avoir. S’il y avoit pensé, il auroit conçu que la beauté de cette piéce consistoit à intéresser une mere pour son enfant, dans le tems même, qu’elle est accablée des désolations qu’elle voit et des douleurs qu’elle souffre, et qu’elle n’a plus qu’un moment à vivre. C’est un des plus beaux sujets que la peinture ait jamais traitez. Il y a, dans l’Anthologie, une épigramme sur ce tableau, qui me paroit admirable : je ne mettrai ici que le latin de Grotius :

Suge, miser, nunquam quae posthac pocula suges;

Ultima ab exanimo corpore pocula trahe!

Expiravit enim jam saucia; sed vel ab orco

Infantem novit pascere matris amor.

Dans :Aristide de Thèbes : la mère mourante, le malade(Lien)

, p. 47

C’est que tout le monde convient, qu’il y a eu un ancien tableau du peintre Bularque, où étoit représentée en médiocre[[3:Pline lui-même, dans le VII. Livre de son Hist. Nat. le nomme picturam mediocris spatii.]] volume, la Bataille, ou plutôt, la Défaite des Magnètes, et qui fut payé réellement au poids de l’or par Candaule[[3:Le même, qui poussa l’indiscrétion jusqu’à l’extrême, et qui en fut puni. Voyez l’histore de cette indiscrétion dans Justin, liv. I. 7.]], roi de Lydie, autrement appelé Myrsile, le dernier de la race des Héraclides; tant la peinture étoit déjà en honneur dans ce tems-là.

Notes au texte latin, p. 228 :

(U) Repensam auro. Venduë au poids de l’or. Surquoi il faut se souvenir des paroles de Pline, alléguées ci-dessus, picturam haud mediocris spatii, un tableau d’une grandeur considérable ; et de la remarque du P. H. savoir que le tableau, ou fut vendu au poids, ou du moins qu’il fut couvert de pièces d’or : mais je serais pour la 1. explication : parce qu’à ce dernier égard, il auroit dit comme de l’Alexandre d’Apelle, Tabulae praetium accepit aureos mensura, non numero. On voit encore aujourd’hui à Basle, dans la Maison de Ville, un tableau d’Holbein, qui représente la Passion de N.S.J.C. en 8 sujets réunis et combinez ensemble sur le bois, déjà fort usé, comme on peut croire, depuis 200 ans, qu’il subsiste. C’est un ouvrage incomparable et qui mérite la curiosité de tous les virtuosi. On fait diverses histoires de ce tableau ; les uns disent que Louïs XIV a plusieurs fois offert à Mrs. de Basle de le couvrir de louis d’or. C’est bien peu pour un ouvrage de cette excellence : d’autres, qu’un électeur de Saxe en offrit plusieurs milliers de sacs de blé, dans un tems de disette : d’autres que le Duc de Bavière, Maximilien, en voulut donner plus de 2000 écus d’Allemagne : et d’autres enfin que l’Empereur Léopold fit tout ce qu’il pût pour l’obtenir, et même à des conditions encore plus considérables. J’ai ouï parler d’un tableau de Michel-Ange, qui fut vendu à Louïs XIV un peu avant la paix d’Utrecht, pour la somme de 600000 livres. Tout le monde sçait le prix des tableaux de Rubens et du Poussin. Ceux de Vanderwerff, qui sont de petit volume, sont déjà d’un prix excessif.

Dans :Bularcos vend ses tableaux leur poids d’or(Lien)

, p. 127

DIBUTADE de Sicyone, simple potier de terre, est le premier qui se soit avisé d’éxprimer la figure humaine avec de l’argile. On dit que la chose se passa à Corinthe, et que sa fille lui en fit naître l’invention. C’est qu’étant amoureuse d’un jeune homme, qui l’aimoit, et qui devait la quitter pour un long voyage, elle se mit dans l’esprit d’en conserver les linéamens éxtérieurs, qu’elle traça fidellement contre la muraille, avec du charbon, à l’aide d’une lampe, qui les marquoit devant ses yeux. Et voilà l’origine de ce Contour célèbre, qui a longtemps été regardé comme le père de la plastique, de la peinture, de la sculpture, et généralement de tous les arts qui dépendent du trait. Dibutade, de retour chez lui, trouva ce crayon si singulier et si nouveau, qu’il résolut d’en faire quelque chose. Pour cet effet, il y appliqua de l’argile, l’étendit éxactement jusqu’à la circonscription de l’objet, et en fit ainsi une espèce de modèle, qu’il fit durcir au feu avec le reste de ses ouvrages.

Notes au texte latin, p. 303 :

(K) Ejusdem opere terrae fingere ex argilla. C’est la leçon de Venise, qu’il ne faut pas changer, quoi qu’il y ait des MSS. qui lisent autrement : il veut dire que si la terre nous fournit les couleurs, et nous procure les matériaux de la peinture, elle nous fournit aussi de quoi modeller, et donne lieu à la plastique et à la sculpture. Notre auteur ne laisse jamais passer l’occasion de faire l’éloge de cette commune Mere des Vivans, et on en verra dans la suite un éxemple notable : inenarrabili terrae benignitate, etc.

(L) Filiae opera. Voyez dans les Poësies de M. de Fontenelle, une Epître de Dibutadis à Polémon, où cette histoire n’est pas bien rapportée. Le plus sûr est de recourir aux sources.

Dans :Dibutade et la jeune fille de Corinthe(Lien)

, p. 88

[[4:voir Pireicus]] C’est que celui-ci[[5:Sérapion.]], qui ne sçut jamais représenter la figure humaine, réussissoit admirablement dans les décorations de théatre : et d’autre côté, Denys de Colophone[[3:Le même, dont il est parlé dans Elien, liv. IV. Ch. 3. qui imitoit Polygnote en tout, à la grandeur près. Nous avons des ouvriers de ce caractere.]], qui n’entendoit rien aux décorations, ne sut jamais peindre que des hommes ; ce qui le fit surnommer l’Anthropographe, tant il est vrai que les talents sont partagés en peinture, comme en autre chose.

Notes au texte latin, p. 284-285 :

(G) Dionysius. Le P. H. s’imagine que ce Denys est le même dont il est parlé dans Elien, Hist. Div. Lib. 4 c. 3. Et qui est connu sous le nom de Denys de Colophone : mais une preuve que le fait est douteux, c’est que notre auteur oppose ici Sérapion à Dionysius, comme deux peintres de différens caracteres, qui travailloient à Rome, apparemment en même tems. A l’égard de Sérapion, cela est probable, puisqu’une de ses décorations couvroit toute la galerie de Ménius : et pour ce qui est de l’autre, il en sera fait mention dans l’art. de Lala, contemporaine de Varron, et très habile pour le portrait ; artist vero tantum, ut multum manipretio antecederet celeberrimos eadem aetate imaginum pictores, Sopolim et Dionysiusm, quorum tabulae pinacothecae implent. Voilà donc ce peintre de portraits, qui ne savoit faire que la figure humaine, et qu’on appeloit, par cette raison, l’Anthropographe, différent de cet ancien peintre, contemporain de Polygnote et son imitateur, et duquel Pline n’a rien dit, mais qu’Aristote, Plutarque et Elien n’ont pas oublié. Aristote dans son art Poëtique, ch. 2. Οἱ γραφεῖς, Πολύγνοτος ἣ κρείττες, Παύσων ἣ χείρες, Διονύσιος ἥ ὁμοίους εἴκαζε. Ces paroles sont différemment interprétées. Junius traduit κρείττες, meliores ; χείρες, deteriores ; ὁμοίους, similes ; comme si Aristote vouloit dire, que Polygnote faisoit les hommes plus beaux qu’ils ne sont naturellement ; que Pauson les faisoit pires qu’ils ne sont en effet ; mais que Denys les peignoit au naturel. Mais M. Perizonius éxplique ce passage tout autrement : κρείττες χείρες h.e. dit-il, Deos et Daemones : h. e. pecora et bestias ; ὁμοίους h.e. homines, ses semblables. Sur quoi il prétend que ce Denys de Colophone est le même que Denys l’Anthropographe, et que comme Elien assure, qu’à la grandeur près, πλὴν τῆς μεγεθῆς, les peintures de ce Denys imitoient en tout celles de Polygnote ; c’est par la même raison que Pline l’a rangé inter minoris picturae celebres, parmi les peintres qui ont éxcellé en petit. Mais si cette raison est valable, il faudra dire aussi que Sérapion, qui peignoit les décorations, est aussi rangé dans la même classe. Ce qui est absurde. Il n’y a qu’à lire tout le passage. Pline oppose Sérapion à Piréïcus, qui vendoit fort bien ses mignatures, tandis que les grandes pièces de l’autre demeuroient exposées sur la grand-place. Il ajoute que ce Sérapion, qui avoit un talent particulier pour décorer les théatres, ne savoit pas faire la figures humaine : au lieu que Denys, quel qu’il fut, n’a jamais fait que cela : ce qui lui donna le surnom d’Anthropographe. Ce n’est qu’une particularité qu’il nous apprend en passant et à propos de Sérapion. Ensuite il retourne à son sujet, Parva et Callicles fecit… D’ailleurs, si Denys de Colophone imitoit si bien Polygnote en toutes choses, éxcepté dans la grandeur, comment ne savoit-il faire que la figure humaine ? Et si Aristote a voulu dire que Polygnote a peint les dieux, les heros, les démons ; pourquoi Denys, qui étoit son imitateur, au rapport d’Elien, n’auroit-il fait que des hommes ? Il y a plus ; c’est que le passage d’Aristote ne dit rien de semblable. Voici son raisonnement : la poësie est une imitation : ceux qui imitent sont bons ou mauvais : car il n’y a que la vertu et le vice qui distinguent les hommes. Il faut donc que ceux qui se proposent l’imitation, pour l’object de leur travail, nous représentent des mœurs ou meilleures que les nôtres, ou plus mauvaises, ou tout à fait semblables. Comme, par éxemple, dans la peinture, Polygnote a fait le second, et Denys de Colophone s’est contenté du troisième. C’est tout ce qu’il veut dire ; il s’agit des mœurs, et non pas de la figure humaine. Voyez l’endroit.

Dans :Dionysios anthropographe(Lien)

, p. 123-124

[[2:Des femmes, qui ont illustré le pinceau]] Les femmes ont aussi fait voir qu’elles savoient peindre, et il ne sera pas hors de propos, dans une histoire de la peinture, d’en rapporter quelques éxemples.

Nous avons déjà parlé de TIMARETE[[3:Voyez ci-dessus. Sect. XXIV. Art. de Micon.]], fille de Micon le Mineur, qui est la premiere de son sexe, qui ait illustré le pinceau ; mais d’autre côté aussi, la Peinture l’a fort illustrée elle-même : car on a placé la DIANE, qui est de sa façon, dans le temple d’Éphèse, parmi les plus anciens morceaux[[3:Nous suivons ici la I. Ed. de Ven. qui porte : in antiquissimis picturis : au lieu de la leçon ordinaire, antiquissimae picturae.]] qu’on y conserve en ce genre.

IRENE, fille de Cratinus[[3:Clém. Alexandrin dit quelque chose de cette fille, dans ses Tapisseries, liv. IV. et Pausanias fait mention des ouvrages de Cratinus, comme d’un statuaire de Lacédémone : Liv. VI. p. 360.]], dont nous avons fait mention, entre les peintres du second ordre, s’est aussi signalée dans la peinture. Car après avoir profité des leçons de son pere, elle fit elle-même des portraits et ensuite des tableaux. On conserve encore de sa façon, à Eleusis[[3:Entre Athènes et Mégare.]], une JEUNE FILLE, qui a de la beauté.

CALYPSO[[3:Il y en a, qui prennent ici Calypso, pour un tableau de la main d’Irene : et il faut avoûer que le texte souffre cette construction. Mais la fable ne la souffre point ; car il faudroit traduire Calypso senem, une Calypso déjà vieille. Or les déesses ne vieillissent pas ; et senem ne convient pas à une femme.]] est célèbre par deux pièces d’un goût éxquis : l’une est un VIEILLARD vénérable, et l’autre, un THÉODORE, fameux joueur de gobelets, qui en imposoit à la vuë, par ses subtilitez.

ALCISTHÈNE a fait un DANSEUR, fort hûreusement éxprimé.

ARISTARETE, fille du peintre Néarque, et son élève dans la peinture, nous a laissé un ESCULAPE, qui suffit pour nous faire juger de ses talents.

LALA, gréque d’origine et native de Cyzique, a passé la plus grande partie de ses jours en Italie. Varron nous apprend, dans son Traité des arts libéraux, qu’elle demeura vierge toute sa vie, sans doute par affection pour la peinture ; jugeant bien que les distractions indispensables d’un mênage, n’étoient pas fort propres à conserver au génie cette force, et à la main cette légèreté, qui font la gloire de l’art. Il ajoute que du tems, qu’il étoit encore jeune lui-même, elle peignoit à Rome, ou sur le bois, ou sur l’yvoire, comme on vouloit, ou avec le pinceau, ou avec des cires coloriées : qu’elle s’attachoit particulièrement au portrait, mais qu’elle réussissoit principalement aux personnes de son sexe : qu’elle travailla aussi à Naples, et y laissa entr’autres deux monuments de sa façon, qui y sont encore : l’un est une BONNE-VIEILLE, en grand, avec toutes les éxpressions les plus naturelles, qui conviennent à cet âge ; et l’autre est son propre PORTRAIT, dans l’attitude d’une fille qui est à sa toilette, et qui se regarde devant le miroir[[3:Le texte porte, suam quoque imaginem ad speculum ; ce qui peut signifier également, ou qu’elle se peignit elle-même, à l’aide d’un miroir ; ou, comme nous l’avons éxprimé, dans l’attitude d’une personne qui est à sa toilette.]]. Il remarque enfin, qu’elle possédoit deux talens, qui ne vont pas toûjours ensemble, et qui la mettent au-dessus de toutes celles, qui ont eû de l’inclination pour la peinture ; c’est que, d’un côté, il n’y eut jamais de main plus legere, ni plus éxpéditive que la sienne, et que par rapport à l’habileté dans le portrait, savoir la ressemblance, le maintien et le coloris, elle avoit porté si loin toutes ces parties, que ses portraits étoient communément taxez à un plus haut prix, que ceux des plus grands peintres de son tems, et dont les ouvrages remplissent encore aujourd’hui les cabinets des curieux, comme ceux, par éxemple, de Denys[[3:C’est celui dont il a parlé ci-dessus, surnommé l’Anthopographe, parce qu’il ne savoit peindre que la figure humaine : voyez la sect. XXV. n. I.]] et de Sopolis, qui étoient grecs d’origine, mais qui peignoit aussi, à Rome, l’un et l’autre sexe.

Enfin l’histoire nous parle encore d’une OLYMPIAS, qui s’amusoit à la peinture : mais ses ouvrages n’ont pas brillé. Tout ce qu’on peut dire à sa louange, c’est qu’elle a eû pour élève, un certain AUTOBULUS, qui a eû quelque nom entre les peintres.

Notes au texte latin, p. 302 :

(G) Quae est in antiquissumis picturis. C’est la leçon de la I. Ven. et de la I. de Rome, et de 2 MSS. de Dalecamp. La leçon commune porte, antiquissimae picturae : mais cette remarque seroit inutile ; parce que Timarete étoit fille de Micon le Mineur, dont on savoit l’époque ; au lieu que Pline marque l’endroit, où cette Diane étoit éxposée, savoir parmi les raretez les plus anciennes de la ville d’Éphèse, en fait de peintures ; in antiquissumis picturis. Au sujet des femmes ou des filles qui ont illustré le pinceau : en voici quelques-unes, parmi les modernes : I. La FILLE de Vincentino, peintre italien ; elle dessinoit et gravoit agréablement. 2. LAVINIA, fille de Prospero Fontani, qui a laissé divers ouvrages de peinture de sa façon ; voyez sa vie dans Félib. T. 3. p. 77. et dans le comte de Malvasia. 3. MARIETTA TINTORETTA, fille du Tintoret, Félib. T. 3. p. 109. 4. La FEMME de M. Voûet, peintre de Loüis XIII et son maître pour le dessein : elle étoit italienne. 5. MLE METHESEAU, élève de la précédente. 6. MLE STABRE, élève de la même. 7. MLE DU GUERNIER, habile dessinatrice, et parente de Loüis du Guernier, jeune homme de grande esperance, mort ici depuis quelques années, aimé et regretté de tout le monde, après avoir gravé une infinité de petits sujets. 8. Les filles de M. BOURDON, très habies en mignature. 9. Les FILLES de M. Boulogne le Pere, aussi très habiles. 10. MLE CHÉRON, fille et sœur de grands peintres, dont le frere est encore plein de vie. 11. ANNE SCHURMAN, habile en grec, en hebreu et en latin, et d’un beau pinceau. Elle se peignit elle-même et son portrait est gravé. 12. La fameuse ROSALBA, qui vit encore. 13. My Lady HOADLY, épouse du fameux évêque de Bangor, et aujourd’hui de Salisbury. Elle a fait un portrait de M. Whiston, qui est admirable : et quantité d’autres.

Dans :Femmes peintres(Lien)

, p. 91-93; 287-288

Il[[5:Ludius.]] vivoit du temps d’Auguste et a beaucoup travaillé sous son regne. Son grand art étoit de savoir orner les murs, les appartements, les portiques et autres telles choses, par des païsages d’un goût ingénieux et varié. Aussi est-il le premier qui en ait amené la mode parmi les Romains ; car il ne paroît pas qu’en Grèce, on l’ait beaucoup pratiquée. Cependant, il n’y a rien de si agréable à voir, que toutes ces diverses choses où se joûoit Ludius : comme, par éxemple, des maisons de campagne, des portiques, des ouvrages de verdure et de jardinage, artistement taillés, tels qu’on en voit dans nos parterres ; des bosquets et des montagnes, des collines, des forêts, des réservoirs, des canaux artificiels, des rivieres même, avec leurs rivages, et autour de ces rivages, aussi bien que sur l’eau, tout ce qu’on y souhaittoit, selon le goût des particuliers. Tantôt c’étoient des allées d’arbres, remplies de toute sorte de monde, qui y prenoient le plaisir de la promenade ; tantôt de petites barques toutes pleines, dont les unes remontoient la rivière avec effort, et les autres la descendoient à l’aise et avec tranquilité ; quelquefois, et souvent même avec tout le reste, des villageois et des villageoises de tout âge, qui s’en retournoient à pié, ou à cheval, ou sur leurs asnes, ou dans leurs charrettes, au hameau prochain : ce qui donnoit à la vuë une diversité tout à fait riante. Enfin il n’y avoit rien dans la vie champêtre, qu’il ne peignit, selon les lieux, ou selon le caprice de ceux qui l’employoient. Ici, par éxemple, c’était une Pesche, où des gens de loisir se servoient, avec beaucoup de patience, de la ligne, du filet, ou de la nasse, pour attraper les poissons. Là c’étoient de jeunes Enfans, qui prenoient des oiseaux à la glu et à la pipée. Ailleurs c’étoit une Chasse, avec tous ses accompagnemens ; dans un autre endroit, une Vendange, avec toutes ses gayetez. Quelquefois même il alloit plus loin, et nous avons de lui des morceaux, où il s’est diverti l’imagination par des sujets qui intéressent davantage un certain ordre de spectateurs : on y voit de jeunes fous[[3:Cet endroit est fort corrompu dans les Edd. et dans les MSS. Nous en avons tiré le sens, qui nous a paru le plus naturel. Voyez nos RR.]] de bonne famille, qui se font un plaisir de charger sur leurs épaules d’innocentes païsannes, ou autres filles, qui ont à passer l’endroit marécageux, qui les separe de leur village. Mais ces galands, qui ont fait leur marché avec elles, et qui s’impatientent de s’en faire payer bientôt, ne laissent pas de glisser au passage, de trembler souvent avec leur fardeau, et de se laisser tomber quelquefois, en divers sens, mais toûjours à la risée de tous ceux qui les regardent. Enfin on a de lui quantité d’autres gentillesses de cette nature, qui sont d’un goût picquant et spirituel. Je remarquerai encore, que tout ce que nous venons de dire, il le peignait dans les maisons, ou dans les vestibules, pourvû que ce fût à couvert du soleil et de la pluie. Et pour ce qui est des lieux, qui étoient exposés, il ne laissait pas de les embellir à sa manière, en y peignant des Vuës, des Ports célèbres, des Villes maritimes, des Situations agréables, et autres telles choses de peu de temps et de dépense, qui ne laissoient pas d’avoir leur beauté.

Mais il faut avouer pourtant que la véritable gloire de la peinture est demeurée en partage à ceux qui ont évité la fraisque et qui n’ont fait que des tableaux ; et c’est en quoi nous devons admirer la prudence et l’œconomie[[3:La prudence, contre le feu, en ne faisant que des tableaux portatifs ; et l’œconomie, en ne prodiguant ni leur genie, ni leurs couleurs, ni leur tems même, sur des murailles, ou sur des lambris, qui deviennent, tôt ou tard, la proye de mille accidens. Aujourdhui, il y a des peintres, qui raffinent encore sur l’Antiquité, en peignant sur le cuivre, et en serrant chaque pièce dans sa caisse.]] de l’Antiquité. Car les Anciens peintres, dont nous avons fait mention, ne se proposoient pas de décorer les murs, seulement pour les maîtres d’alors, à qui ils appartenoient, ni de perdre leur tems et leurs couleurs, à orner un palais immobile, qu’on ne sauroit enlever à la violence du feu : ils aimoient mieux se fixer à des ouvrages portatifs, qu’on pût enchâsser et transporter, sans peine, d’un lieu en un autre, pour les conserver à travers les siècles. Ainsi Protogène étoit content d’une petite loge, dans son jardin ; Apelle n’avoit aucun morceau de peinture dans sa maison, ni sur les murailles, ni sur les lambris, ni dans aucun de ses appartemens. On n’avoit pas encore la démangeaison, ou plûtôt la sotte vanité, d’en couvrir les parois entieres ; on n’étoit pas d’humeur de laisser à la discretion des flammes, des chefs-d’œuvre irréparables. Tous les monumens de ces grands hommes faisoient la garde, pour ainsi dire, dans les palais, dans les temples et dans les villes, et un grand peintre, à proprement parler, étoit un bien commun[[3:C’est-à-dire, ou par rapport au païs, à la ville, à la rép. où ils se trouvoient ; ou par rapport aux divers maîtres, à qui ils appartenoient sucessivement, et qui les faisoient voyager, pour ainsi dire, par toute la terre. On en peut dire autant de plusieurs tableaux d’Italie, qui ont passé en Flandres, en Hollandes, et en Angleterre.]] et un trésor public, qui appartenoit à toute la terre. Ce qui soit dit en passant, et à propos des ouvrages de fraisque de notre Ludius.

Notes au texte latin, p. 287-288 :

(Q) Non fraudando et Ludio Diui Augusti aetate. Voici un autre peintre de réputation, qui se nommoit aussi Ludius, et quoique séparé du précédent de plus de 700 ans, on le joint à l’autre pour deux raisons, la conformité du nom, et celle des ouvrages. Cependant, il semble que s’ils avoient porté le même nom, Pline auroit dû s’éxprimer d’une autre maniere, comme par éxemple, non fraudando et altero Ludio, Divi Augusti aetate. Un MS. de Dalecamp ajoute deux mots à la leçon ordinaire, non frandando et sua gloria Ludio. S’il y avoit un MS. qui lût, non frandando et sua laude Ludio, je serois pour cette lecture, quoique la leçon ordinaire soit très bonne.

(R) Iam piscantes, etc. On aura de la peine à se satisfaire sur ce passage. Je l’ai tourné de toutes les manieres, et je suis encore aussi incertain qu’auparavant de la vraye lecture. Tous les éditeurs mettant un point après vehiculis. Et puis un autre période, Iam piscandtes jusqu’à exemplaribus ; et puis de nouveau, Nobiles palustri, etc. Je prends un autre tour et voici ma conjecture : Villas et porticus, ac topiaria opera, lucos, nemora, colles, piscinas, euripos, amnes, litora, qualia quis optaret, varias ibi obambulantium species, aut navigantiam, uillasque adeuntium asellis aut vehiculis ; item piscantes, aucupantesque, aut uenantes, aut etiam uindemiantes. sunt in eius exemplaribus, nobiles palustri accessu uillae, succollatis sponsione mulieribus labantes trepidaeque. Feruntur plurimae praeterea tales argutiae facetissimi salis. Item est d’un MS. de Dalecamp : et lie piscantes avec ce qui précède. Sunt et in eius exemplaribus, etc. est un autre sorte de sujet : et c’est la coutume de notre Pline de commencer ses periodes par ce verbe-là, lorsqu’il parle d’une nouvelle sorte d’ouvrages. Comme dans l’art. de Timanthe : Sunt et alia ejus ingenii exemplaria : et dans celui d’Apelle ; est et equus ejus sive fuit… Sunt inter opera eius et exspirantium imagines ; et dans celui de Parrhase, Sunt et duae picturae ejus nobilissimae : et ainsi de même presque partout. Si on reprend le fil du discours par nobiles, à quoi se rapportera cet adjectif ? Gronovius a adopté, nobilis accessu Villae. Mulieres est dans la I. Ed. et presque dans tous les MSS. Labantes trepidaeque, de même : le sens demande donc, succollatae sponsione mulieres. Pour ce qui est de feruntur, qui paroît le plus embarrassant, il peut fort bien commencer une autre periode : Feruntur plurimae praeterea tales argutiae facetissimi salis. Hermolaus lisoit : Nobiles subcollantium specie mulieres labantes, trepidaeque feruntur. Gronovius, Nobilis palustri accessu Villae, succollatis personis mulieribus, labantes trepidique feruntur. Mais que veut dire ce nobiles tout seul, sans substantif ? Est-ce la coutume des bons auteurs de parler ainsi ? C’est en vain qu’il ajoute dans sa paraphrase, Nobiles, ut baiuli. Le sens est bon, mais la construction me paroît vicieuse : Iam piscantes, etc. sunt in eius exemplaribus : et puis, nobiles, palustri accessu uillae, succollatis sponsione… labantes, trepidique feruntur. Il faut avouër que le verbe sunt, qui finit la periode précédente, fait un mauvais effet avec feruntur, qui termine l’autre. J’attends là-dessus les lumieres de nos savans.

Dans :Ludius peintre de paysages et la rhopographia(Lien)

, p. 116

Ce peintre[[5:Néalce.]] avoit la composition si exacte et si bien entendue, que ses tableaux n’avoient besoin que d’un œil savant pour remporter l’approbation du spectateur. C’est ce qui paroît entr’autres dans son COMBAT NAVAL entre les Égyptiens et les Perses. Car ayant à le représenter sur le Nil, qui est fort large vers la fin de sa course, et dont les eaux ressemblent tout à fait à celles de la mer, il s’avisa d’un expédient, qui met d’abord au fait le premier coup d’œil. Il peignit donc sur le rivage, un asne qui se desaltère, et, un peu plus loin un crocodile, à demi sous les roseaux, qui le guette, et qui prend son tems pour fondre sur lui. Et voilà comment, par ce petit trait, il éxprima si bien, ce que toutes les couleurs auroient inutilement tenté. Car l’asne n’auroit point bû, si ce n’eût été de l’eau douce ; et le crocodile ne se seroit point trouvé là, si le lieu du combat n’eut été le Nil.

Dans :Néalcès et le crocodile(Lien)

, p. 16

Enfin, après toutes ces peintures, on admira beaucoup à Rome cette belle décoration de théatre, qui parut aux Jeux de Claudius Pulcer[[3:Père de Clodius, ce mortel ennemi de Ciceron, et des honnêtes gens de la République.]], surtout quand on vit des corbeaux[[3:Bientôt on verra d’autres oiseaux, qui viendront becqueter les raisins du peintre Zeuxis, sans parler ici de cet asne, qui vouloit à toute force manger les chardons d’un tableau de M. Le Brun. Vouez Perrault, dans ses Parallèles, T. 1 p. 200. Il est hûreux que l’illusion aît commencé par les bêtes.]] s’en approcher, pour se reposer sur les tuiles apparentes, que le peintre y avoit représentées. Car il faut savoir qu’auparavant on n’avoit encore rien peint sur la scene.

Notes au texte latin, p. 177-178 :

(Y). Habuit et scena, Ludius Claudii Pulchri, magnam admirationem picturae. C. Claudius Pulcher, étant parvenu à l’édilité donna aux Romains, en 653, un spectacle fort célébre. 1. Il fit combattre, dans le cirque, des elephans les uns contre les autres. 2. Il embellit ses jeux de toutes les raretez de la nature et de l’art, qu’il pût déterrer. 3. Ses amis lui prêterent tout ce qu’ils avoient d’anciens monumens de peinture et de sculpture, et le fameux Cupidon de Praxitele y brilla entre les autres. 4. À l’égard du théatre, il en fit peindre les décorations, ce qui ne s’était point fait à Rome avant lui. Enfin il arriva, que les corbeaux même y furent trompez. C’est un des miracles de la peinture : elle trompe les hommes et les bêtes. Ici ce sont des corbeaux qui s’y méprennent. Bientôt ce seront d’autres oiseaux qui iront becqueter les raisins du peintre Zeuxis. Plus loin ce sera un cheval qui hennira contre celui d’Apelle. Rien n’est plus naturel que ces sortes d’illusions. M. Perrault nous parle d’un asne, qui donna si vivement sur des chardons peints par M. Le Brun, qu’on eût toutes les peines du monde de l’en arracher. Et comment les bêtes n’y seroient-elles pas surprises, puisque les hommes mêmes y sont si souvent attrapez ? Ne m’est-il pas arrivé à moi-même, chez un gentilhomme, à la campagne, de vouloir pendre mon chapeau à des crochets de fer, qui n’en avoient que l’apparence, et ensuite d’y porter la main, pour savoir au vrai ce qui en étoit ? Qui ignore le badinage de Rembrant, qui pour faire croire aux badauds d’Anvers que sa servante gardoit bien la maison, la peignit au naturel sur une planche rognée éxprès, et la plaça à une de ses fenêtres, comme regardant dans la ruë ? Enfin n’a-t-on pas vû, à Londres, depuis peu, dans un certain caffé, où se faisoit une vente de tableaux, la plupart de ceux qui y entroient, étonnez d’une belle femme, qui y étoit peinte, s’en approcher indiscrètement pour lever la gaze qui la couvrait, au grand étonnement et à la risée même de ceux qui y avaient été trompés les premiers ? Ils voyoient bien au cadre, que c’étoit un tableau, et à la figure de cette femme, qu’elle étoit peinte ; mais ils s’imaginoient que le marchand plus modeste que l’ouvrier y avoit ajouté la gaze : et voilà où étoit l’erreur. Toutes ces histoires sont très vrayes, quoique souvent peu vraisemblables ; et il est hûreux que l’illusion ait commencé par les bêtes.

Dans :Les oiseaux picorent les tuiles du théâtre de Claudius Pulcher(Lien)

, p. 11

Pour en venir maintenant à l’histoire de la peinture, il faut savoir d’abord, que nous n’avons rien que de fort incertain sur son origine. Il est vrai que les Égyptiens se vantent de l’avoir inventée, plus de six mille ans avant qu’elle passât en Grèce. Mais chacun sçait, que ce n’est pas la seule prévention de ces peuples, où le mensonge et la vanité sautent aux yeux. À l’égard des Grecs, ils se partagent sur cet article. Les uns donnent la gloire de cette invention à Sicyone[[3:Au couchant de Corinthe, dans le Péloponnèse.]], et les autres à Corinthe : mais ils conviennent tous que les commencemens en furent fort simples ; qu’elle ne consista d’abord, qu’en une ombre grossière, terminée, ou plutôt circonscrite par une seule ligne, justement comme l’ombre même de nos corps, à l’opposite de la clarté ; et qu’ainsi la première et la plus ancienne maniere de peindre n’alla pas plus loin. Ils ajoutent que la seconde ne fut proprement que cette ombre même, formée d’une seule couleur, qu’on nomma, dans la suite, monochromate, ou couleur-unique, lorsque la peinture eut fait plus de progrès ; comme on la pratique encore dans les desseins, ou dans certains ouvrages de blanc et de noir, dont nous aurons lieu de parler. À l’égard du simple-trait, il fut inventé, à ce qu’on prétend, par un nommé Philocles, Égyptien, ou par un certain Cleanthe de Corinthe ; mais ni l’un, ni l’autre, n’ont jamais fait profession de dessein, ni de peinture. Ce fut un autre Corinthien, nommé Ardices, ou un Sicyonien, nommé Telephane, qui commencerent à l’exercer ; à la vérité encore sans couleur, mais en ajoutant, au premier trait, ces lignes et ces distinctions intérieures, qui forment les membres et les drapperies [[4:suite : peintres archaïques]]

Notes au texte latin, p. 168 :

(Z) Primi exercuere Ardices Corinthius et Telephanes Sicyonius. Les autres avoient dessiné par amusement ; mais ceux-ci en ont fait un art et l’ont exercé. Sine ullo etiamnum hi colore. Ce hi est de l’éd. de Venise, et y vient fort bien : Ardices et Téléphane firent profession de cet art naissant ; mais ils n’usoient point encore de couleur : c’est à dire, de couleur gaye, comme, du minium, du cinabre, de la rubrique, qu’on employa dans la suite : jam tamen spargentes lineas intus ; cependant ils n’en demeurerent pas à cette simple circonscription des objects, ils y ajouterent des traits, des lignes, des contours intérieurs, qui perfectionnerent le dessein. C’est ce que les Grecs et les Latins, après eux, ont apelé Graphis, ou Graphice. Notre Pline dans la vie de Parrhase : Graphidis uestigia exstant in tabulis et membranis ejus, ex quibus proficere dicuntur artifices : et dans celle de Pamphile : huius auctoritate effectum est Sicyone primum, deinde et in tota Graecia, ut pueri ingenui omnia ante graphicen, hoc est, picturam, in buxo docerentur. Aristote recommande la même chose, et la raison qu’il en donne est singulière ; c’est afin qu’étant devenus grands, non seulement ils ne soient pas trompez dans l’achat ou dans la vente de ces sortes de choses, mais principalement afin qu’ils se forment le goût, et qu’ils deviennent connoisseurs en fait de beautez : De Rep. Lib. 8 c. 3. Vitruve veut aussi que l’architecte possède l’art du dessein, Graphidos scientiam habere, quo facilius, exemplaribus pictis, quam uelit operis faciem deformare ualeat Vitruv. Lib. 1, c. 1. Il paroît par un passage de Philostrate que les Anciens avoient porté cet art jusqu’à une grande perfection : on peut fort bien appeler peinture, dit-il, ce qui n’est composé que de simples lignes, sans couleur, et où l’ombre et la lumière, c’est-à-dire le blanc et le noir, artistement mênagez, nous y font trouver, avec la ressemblance et la beauté, les sentiments et les passions de l’ame, comme on les voit dans les meilleurs tableaux. On y voit le sang, les cheveux, la barbe, le cotton qui ne fait que commencer à poindre ; on y remarque toutes les differences des teints et des tempéramens ; on y distingue un homme blanc, d’avec un brun ; un blond d’avec un noireau ; un homme à cheveux gris d’avec un chatain. On va même jusqu’à exprimer avec de la craye blanche, ou du crayon rouge, un indien, un more, qui paroîtra tel, au premier coup d’œil. Son nez camard, ses cheveux crépez, ses jouës pleines, ses levres grosses, ses yeux ouverts, et je ne sçai quel aspect d’étonnement, qui y domine, feront juger d’abord, que c’est un Noir qu’on a voulu faire ; C’est ainsi à peu près que raisonne l’historien d’Apollonius de Tyane, Liv. II ch. 7.

Dans :Les origines de la peinture(Lien)

, p. 61

Pamphile étoit originaire de Macédoine, et cependant il est le premier qui ait joint l’érudition à la peinture, je dis l’érudition vaste et universelle, autant qu’elle est propre à nourrir et à élever le genie d’un peintre. [[2:Son savoir]] Mais sur toutes choses, il s’attacha aux mathématiques, et particulièrement au calcul[[3:Ceux qui savent les finesses de l’art, conviendront de cette vérité ; car il faut que tout soit contrebalancé dans la peinture, sans que la Nature soit gênée. Un tableau est un concert, une harmonie.]] et à la géométrie[[3:Surtout par rapport à la perspective, qui est absolument nécessaire.]] ; soutenant hautement que sans leur secours, il n’étoit pas possible d’amener la peinture à sa perfection. On conçoit aisément qu’un tel maître n’avilissoit point son art. Il ne prenoit aucun élève, qu’à raison de dix talens[[3:6000 ecus d’Angl. à 600 ec. le talent.]], pour autant d’années d’apprentissage : et ce ne fut qu’à ce marché, que Mélanthe et Apelle devinrent eux-mêmes ses disciples. [[2:Sa methode pour ses élèves]] En quoi on peut dire qu’il avait deux vuës : premièrement, en gardant ses élèves si longtems, il ne sortoit de ses mains que d’habiles peintres, également armez pour toutes les parties de l’art, qui ne sont pas en petit nombre ; et d’ailleurs en se faisant bien payer, il écartoit le vulgaire prophane et mettoit en honneur la peinture. [[2:Services qu’il a rendus à la peinture]] Enfin, ce grand homme y réussit si bien, qu’il obtint d’abord à Sicyone et ensuite par toute la Grèce l’établissement d’une espèce d’Académie, où les enfans de famille, qui avoient quelque disposition pour les beaux-arts, devoient apprendre, avant toute chose, les principes du dessin, sur des tablettes de bouïs[[3:C’est ainsi qu’il faut traduire, selon la I. Ed. de Venise, in buxo docerentur ; mais dans la 2. Venitiene, il y a, in ludo docerentur : ce qui voudroit dire, qu’il établit à Sicyone et ensuite dans toute la Grèce, une classe particuliere, pour le dessein, dans les écoles publiques : ce qui fait un fort bon sens.]], comme les plus propres à cet effet, tant pour la fermeté et par la douceur de la matiere, que par la facilité qu’on y trouve de corriger les traits manquez ; ce qui étoit une grande commodité pour la jeunesse et une épargne en même tems, dans un siècle où notre papier n’étoit point en usage. Mais il ne vouloit à cette école, que des enfans libres, pour la raison que j’ai indiquée. Si bien que par son moyen, la peinture, beaucoup plus honorée qu’elle ne l’avoit été jusqu’alors, fut reçuë desormais à la tête[[3:À la lettre, dans le premier degré des arts liberaux, comme celui qui sert de fondement à la peinture, à la sculpture, à l’architecture, etc.]] des arts libéraux comme en étant la mere et la directrice. À la vérité, elle avoit toûjours été en honneur parmi les nations les plus polies ; d’abord des personnes libres l’avoient éxercée, et bientôt après, des gens de naissance et de qualité : mais de peur que, devenant si commune, elle ne s’avilit à la fin, il obtint des États de la Grèce un édit severe, qui l’interdisoit absolument aux esclaves et aux domestiques. Et voilà pourquoi, jusqu’à présent, il ne paroît point qu’on ait quelque ouvrage de renom, en peinture ou en sculpture, qui soit d’une main servile.

Notes au texte latin, p. 255-256 :

(Z) Sed primus in pictura omnibus literis eruditus. Vous voyez que Pline continuë à distinguer les peintres par les talens qui leur ont été particuliers. Celui-ci *** de Macédoine, et cependant le premier qui ait joint l’érudition à l’habileté du pinceau : grand secours pour y éxceller. C’étoit le caractère de Rubens, qui a fait tant d’honneur à la peinture : « Comme il étoit d’une complexion vigoureuse et infatigable au travail, il s’occupoit continuellement ou à dessiner, ou à peindre, ou à l’étude des bons livres. Et même quand il peignoit, il se faisoit lire quelque livre d’histoire, de philosophie ou de poësie… Il entendoit et parloit fort bien sept sortes de langues : ce qui le faisoit considérer de tout le monde et même lui donnoit occasion de servir son prince en plusieurs affaires importantes. » Félib. Tom. 3 p. 268. M. de Piles, qui a fait sa vie, confirme le fait et ajoute que les livres, dont il se plaisoit le plus d’entendre la lecture, étaient Plutarque, Tite-Live, et quelquefois Senéque. On a encore de lui des lettres latines et des MSS. qui prouvent son grand savoir. Le Brun étudioit aussi beaucoup ; Du Fresnoy étoit savant et bon poète ; le Poussin étoit un homme fort éclairé ; et M. de Piles lui-même peut être compté entre nos bons auteurs.

(A) Praecipue arithmetice et geometrice. La science du calcul et la géométrie sont très utiles au peintre : la I. pour balancer un tableau et contraster l’ordonnance, qui est une chose plus utile que l’on ne croit, et la 2. pour les proportions et pour la perspective. Albert Durer, dans le 15. siècle, fit la même chose : « Comme il n’avoit fait aucunes études, il s’appliqua à celles qu’il crut les plus nécessaires pour la profession qu’il embrassoit. Il apprit l’arithmétique, la géométrie, la perspective, et l’architecture ; et ayant fait de ces sciences un fondement sur lequel il pût bâtir avec sureté, il se mit à travailler et ne commença qu’à l’âge de vingt-sept ans à metttre ses ouvrages en lumiere. Aussi ne vit on rien paroître de lui qui ressentit son apprentif, on y remarqua une maniere fait et des coups de maître. » Félib. Tom. 2. p. 195. Il avoit raison ; quand on commence mal, on est sujet à recommencer souvent. Le Poussin, qui avoit si bien lû son Pline, profita beaucoup de l’éxemple de Pamphile ; il étudia avec soin la géométrie et particulièrement l’optique, qui dans la peinture st comme un instrument nécessaire et favorable pour redresser les sens, et empêcher que par foiblesse ou autrement ils ne se trompent et ne prennent des apparences pour des vérités. Idem, tom. 4. p. 12. Léonard de Vinci, de même. Idem, t. I. p. 162.

(B) Sine quibus negauit artem perfici posse. C’est la leçon de la I. Venitienne. La leçon ordinaire est negabat : qui fait le même sens. Mais comme Pamphile avoit aussi écrit de la peinture, au rapport de Suidas, quoique notre Pline n’en dise rien, negauit fait ici aussi bien que negabat. Félibien, en parlant de ce peintre, dit qu’il savoit parfaitement les mathématiques, et qu’il les croyoit si nécessaires pour la peinture, qu’il disoit souvent qu’un peintre, qui les ignore, ne peut être parfaitement savant dans sa profession. C’est bien là, en gros, le sens de ces paroles : mais il me semble que Pamphile parle plustôt de l’art, qui n’étoit pas encore consommé de son tems, au moins partout, et qu’il donne à entendre qu’on ne sauroit l’amener à sa perfection qu’avec le secours des mathématiques, que l’on négligeoit.

(C) Docuit neminem talento minoris annis decem. C’est la leçon de la I. Ven. à peu de chose près : seulement on y lit annius au lieu d’annis. Pintianus a trouvé de même dans un de ses MSS. Annuis d. Le talent attique par le calcul de Varron et de Pline même, réduit à la monnoye de Rome, faisoit 6000 deniers : c’est à peu près 600 ecus de notre monnoye. C’est à dire, que Pamphile recevoit de chaque élève, un talent par an, et de tous ceux qui commençoient avec lui leur apprentissage, un talent par an, pendant l’espace de 10 années consécutives ; sans doute pour écarter la canaille et pour faire de bons élèves. Plutarque se trouve ici d’accord avec notre Pline : il dit qu’Apelles, combien qu’il fut déja en grande estime, s’y en alla, et paya à ces deux ouvriers (Pamphilus et Melanthus) un talent pour demeurer quelque tems avec eux afin d’y acquérir non tant la perfection de l’artifice, que la réputation. C’est ainsi qu’il faut entendre ce qui suit ; quam mercedem ei Apelles et Melanthius dedere : non pas 10 talens, seulement pour pouvoir dire, qu’ils avoient travaillé sous lui. Le savant Budé n’est pas de cet avis. Ayant trouvé dans un MS. annuis talentis decem, il suppose qu’on donnoit à Pamphile dix talens par an, pour en avoir des leçons sur la peinture : ce seroit 60000 écus pour dix ans. C’est beaucoup. Un autre MS. va encore plus loin, il porte talentis xi. Je préfére l’autorité de Plutarque à tous ces MSS. Voyez Carlo Dati et le P.H. qui ont pris la bonne voye, après Dalecamp.

(D) Ut pueri ingenui omnia ante graphicen, hoc est, picturam. C’est la leçon de la I. Ven. du MSS. De Voss. de 3 autres de Gronovius, et d’un autre de Pintianus, sans compter celui de Dalecamp. Ici Gelenius s’est lourdement mépris : secutus archetypa nostra : dit-il, lego et distinguo, diagraphicen, hoc est, picturam in buxo, docerentur : ut ea voce rudimenta picturae intelligamus. Neque enim omnes pueri in absolutos artifices euadebant. Est autem διαγράφη, unde diagraphice deducitur, tabella buxea, in qua pueri scribere vel pingere meditabantur, subinde errata emendantes, quod Graeci διαγράφην vocant : et diagramma proprie dicuntur descriptiones mathematicae, deformationesue architectonicae. Tout cela ne vient point au fait : διαγράφη n’a rien de commun avec la peinture et le dessein. Cependant les dictionnaires, dit Gronovius, ont copié cette faute et y ont trouve Διαγραφικὴ, pro pictura in buxo, in Plin. Graphicen est la vraie leçon, comme nous l’avons fait voir ci-dessus, p. 168. Pline s’éxplique lui-même, Graphicen, hoc est picturam ; c. à. d. linearum ductum et umbratilem picturam, comme s’éxprime le savant Budé. Pour ce qui est de pueri ingenui, ce sont des enfans libres, les enfans des citoyens, par opposition aux esclaves ou aux affranchis : comme il le fait entendre dans la suite, perpetuo interdicto ne seruitia docerentur. Félibien a mal entendu cela : Il obtint par son crédit qu’il n’y auroit que les enfans des nobles qui s’éxerceroient à la peinture. À cette inadvertance, M. de Piles en ajoute une autre, c’est qu’il fait intervenir Alexandre le Grand dans cet édit : Et Pline, dit-il, qui en rend témoignage dans son 10. ch. du 35. Livre, dit encore, parlant de Pamphile, maître d’Apelle, Que ce fut par l’autorité de ce prince, qu’à Sicyone prémiérement et ensutie par toute la Grèce, les jeunes gentilshommes apprirent avant toute autre chose à dessiner sur des tablettes de bouis… remarq. Sur l’Art de Peint. p. 98. Prémiérement, il n’est point parlé d’Alexandre, dans cet article de Pamphile ; 2. il n’y vient pas naturellement. Zeuxis, Parrhase, Aristide, Melanthius, Pamhile ont été contemporains, et ils sont rangez dans la 95. Olympiade. Or chacun sçait qu’Alexandre n’a commencé à regner qu’à la 112 : lors de la grande reputation d’Apelle. 3. Ce n’est point l’autorité d’un prince, qui procura l’édit ; ce fut le crédit de Pamphile dans Sicyone et ensuite dans toutes les Répp. de la Grèce : et huius auctoritate effectum est, ut Sicyone primum, deinde et in tota Graecia, etc. Auctoritas n’est pas là l’autorité, mais le conseil, la persuasion, le crédit, comme l’a éxprimé Félibien. 4. Pueri ingenui n’est pas bien rendu par jeunes gentilshommes : il suffit que ce fussent des enfants libres : Pline lui-même distingue plus bas ces ingenui d’avec les honesti : c. à. d. des enfants de bonne famille, ou, comme on parle, de bonne maison, sans qu’il fût nécessaire pour cela d’être noble. Le pere d’Horace étoit un affranchi ; quem omnes rodunt libertino patre natum. Pour Horace même, il étoit né ingenuus, mais non pas honestus : il le devint par son éducation, par le poste qu’il eut à l’armée, et surtout par sa faveur auprès d’Auguste et de Mecenas : Turpilius, le peintre, étoit Chev. Romain, mais non pas noble, à parler à la rigueur. Pour Fabius, il étoit véritablement noble, nobilissimus civis, de famille patricienne, qui avoit passé par tous les honneurs de la République, quoiqu’il ne fut lui-même que peintre. On pourroit trouver, à peu près, les mêmes différences parmi les anciens Grecs.

(E) In buxo docerentur. C’est la leçon de la I. Vénitienne. La I. de Rome changea cette leçon et y substitua in ludo, c. à. d. à l’Ecôle, et dans les premiers éxercices de l’enfance. Ce dernier sens me paroit assez bon. Il vouloit qu’on leur enseignât les premiers principes du dessein, dans le tems même, qu’ils apprenoient à lire et à écrire, et même avant cela : ut pueri ingenui, omnia ante, graphicen, hoc est, picturam, in ludo docerentur. La suite semble le confirmer ; recipereturque ea ars in primum gradum liberalium : ce qui ne veut pas dire, qu’on mît la peinture à la tête des arts liberaux, ou qu’on lui donnât le premier rang, comme dit M. de Piles ; mais qu’on commençât par là ; et que cet art devint comme la porte des autres arts. Cependant comme les MSS. sont unanimes pour buxo, je me range à la pluralité des voix ; et dans le fond, l’un revient à l’autre, non pas par la raison qu’en donne Gelenius ; ceterum buxus ad id potissimum electa est propter materiae laeuorum, simulque densitatem, quod minime colores biberet, nec lineas fluidas redderet. Il suppose qu’on enseignoit à ces enfans la peinture proprement dite. Erreur, on ne leur enseignoit que le dessein, ut pueri ingenui, omnia ante, graphicen, i.e. picturam, in buxo docerentur. Ce qui l’a trompé est cette petite parenthese, hoc est picturam, qui a tout l’air d’une gloze de copiste : graphis est constamment le dessein et ici, et dans Vitruve, et dans les bons auteurs ; et c’est assez pour les enfans. On pouvoit donc se servir de bouis à cause de sa douceur et de sa fermeté, mais non pas parce qu’il est propre à la peinture : car c’est le larix femelle, que les Anciens employoient à cela, comme on l’a vû ci-dessus p. 224. et non pas le bouis ; au moins Pline ne le dit pas dans l’article de ce bois-là. Je conçois donc que cet in buxo n’emporte autre chose que les premiers éléments de l’instruction, que l’on traçoit aux enfans sur des tablettes de bouis, tant pour la lecture, que pour l’écriture, l’arithmetique, le dessein, etc. Tablettes d’autant plus commodes, qu’on pouvoit toûjours effacer et recommencer de nouveau : ce qui étoit d’une grande œconomie pour la jeunesse. A l’heure même que j’écris cette note, j’en trouve la confirmation dans Hermolaus. « Vetus lectio, dit-il, graphicen : id est, picturam, in buxo docerentur. Julius Pollux, buxum, h. e. pyxion, inter ea numerat quae ad pueros literis imbuendos pertinent : id ipsum et pictoris instrumentum esse tradit. Alio loco : pyxion, inquit, tabella est, qua grammatici utuntur. Cujus vocis apud Aristophanem fit mentio, et Herodotus deltion adpellat. Id ipsum et Aelianus et Eustathius, qui tabellas vocari pyxia, i.e. buxulos tradit : quoniam veteres, inquit, elementa in buxo deformabant. Voilà des remarques que les éditeurs de Pline devoient conserver dans leurs éditions. Le P. H. a suivi Gelenius.

Dans :Pamphile et la peinture comme art libéral(Lien)

, p. 55

C’est à lui que nous devons […], du consentement des grands maîtres, le finissement et l’arrondissement des figures ; en quoi il a surpassé tous ses prédécesseurs, et égalé tous ceux qui l’ont suivi : et c’est là, en effet, une des grandes finesses de l’art. Car de dessiner correctement les corps et le milieu des choses, c’est un point très considérable sans doute, et où quantité d’artistes ont acquis de la réputation : mais de savoir dégager les figures du fond où elles sont placées, et représenter au naturel l’effet d’une figure qui finit de tous côtez, il est rare d’y réussir, et il y en a peu qui y parviennent : parce que l’éxtrémité universelle de la figure doit comme s’arrondir et s’enveloper de toutes parts, et finir de telle manière qu’elle en promette d’autres derrière elle, en indiquant, pour ainsi dire, les mêmes objets qu’elle éclipse. Or c’est là une sorte de gloire, qu’Antigone et Xénocrate, qui ont écrit de la peinture, lui ont accordée en propre, au moins pour le siècle d’alors ; et cela, non par une espèce d’aveu, éxtorqué par l’évidence du fait, mais par des louanges ingénuës et volontaires, et sur cet article et sur d’autres que nous avons touchez, comme les proportions, l’élégance, les attitudes et la vivacité des éxpressions.

Notes au texte latin, p. 246 :

(D) In lineis estremis palmam adeptus. Extremae linae peuvent signifier 2 choses dans la peinture : ou les derniers coups de pinceau, qui finissent un ouvrage ; ou la circonscription des figures mêmes, qui demande beaucoup d’art et de délicatesse, lorsqu’il faut leur donner cette rondeur et ce relief qui les détache, pour ainsi dire, du fond du tableau. Il paroit par la suite que c’est la pensée de notre auteur : Haec est picturae summa sublimitas : corpora enim pingere et media rerum est quidem magni operis, sed in quo multi gloriam tulerint. Extrema corporum facere et desinentis picturae modum includere, rarum in successu artis inuenitur. Ambire enim debet se extremitas ipsa et sic desinere, ut promittat alia post se, ostendatque etiam quae occultat.

(E) Haec est picturae summa sublimitas. C’est la leçon de la I. Venitienne ; d’un MS. du Dalecamp, et de ceux du P. H. Cependant Carlo Dati préfere subtilitas, et il faut avouër que cette lecture paroit plus naturelle ; car enfin, il ne s’agit pas ici proprement de la sublimité de la peinture ; mais de la délicatesse des traits et des ombres, qui arrondissent une figure ; d’autant plus que Quintilien, qui le louë du même talent, s’éxprime d’une maniere qui favorise la leçon commune : Zeuxis atque Parrhasius non multum aetate distantes… plurimum arti advenisse rationem, secundus examinasse subtilius lineas traditur. Petrone, avant lui, avoit parlé à peu près de même : Nam et Zeuxidos manus vidi nondum uetustatis iniuria uictas ; et Protogenis rudimenta (d’autres lisent lineamenta) cum ipsa ueritate certantia, non sine quodam horrore tractaui… Tanta enim subtilitate extremitates imaginum erant ad similitudinem praecisae, ut crederes etiam animorum esse picturam, et notre Pline au sujet d’Apelle : Ferunt artificem protinus, contemplatum subtilitatem, dixisse, Apellem venisse. Quoique ces passages paroissoient décisifs, je ne saurois pourtant me résoudre à renoncer à une lecture, qui a pour elle tant de suffrages : sans compter que sublimitas se doit prendre aux divers degrez du dessein, dont il s’agit. Pline le marque positivement, in lineis extremis palmam adeptus. À quoi il ajoute : Haec est in pictura summa sublimitas : vous voyez qu’il ne s’agit pas là des beautez de l’expression, ni de l’ordonnance ; mais uniquement de l’art de peindre et de bien faire une figure : or à cet égard, il est bien plus difficile de donner un beau relief aux personnages d’un tableau, et de faire paroître les choses comme dans la nature même, que d’en tracer simplement les proportions. Ce n’est pas que cet article n’ait ses difficultez ; Est quidem magni operis : mais enfin plusieurs y ont réussi, sed in quo multi gloriam tulerint. À l’égard du reste, peu d’artisans y ont excellé : rarum in successu artis invenitur. Écoutons Félibien : « Quoique ce soit une chose très estimable de bien unir ensemble les couleurs pour joindre des corps de différentes espèces, ce n’est rien en comparaison de savoir peindre les contours et les éxtrémités de tous les corps en general et faire qu’ils se perdent, par une fuite et un détour insensible, qui trompe la vuë de telle sorte, qu’on ne laisse pas d’y comprendre ce qui ne se voit point. Parrhasius fut celui des peintres anciens qui posséda parfaitement cette science. Pline, qui en fait la remarque, considere cette partie comme la plus difficile et la plus importante de la peinture, parce que, dit-il, qu’encore qu’il soit toûjours avantageux de bien peindre le milieu des corps, c’est pourtant une chose, où plusieurs ont acquis de la gloire ; mais d’en tracer les contours, les faire fuir, et par le moyen de ces affoiblissements, faire en sorte qu’il semble qu’on aille voir d’une figure ce qui en est caché ; c’est en quoi consiste la perfection de l’art, et ce qui ne s’apprend pas sans beaucoup de peine. » Entret. sur les Vies des peintres, tom. 3 p. 14. Ed. de Holl.

Dans :Parrhasios et les contours(Lien)

, p. 57-58

ce sont deux Hoplitites[[3:Qui courent tout armez dans la carriere olympique : c’est la signification du mot grec.]], ou Olympiens, qui courent tout armez dans la carrière olympique, selon les jeux de ce tems-là : le premier court d’une telle force, qu’il paroît fondre en sueur ; et l’autre, qui a fini sa course, quitte ses armes de telle manière, qu’on diroit qu’il est tout essoufflé et qu’il a grand besoin de reprendre haleine.

Dans :Parrhasios, les Hoplites(Lien)

, p. 58; 250

[[2:Sa présomption]] Artisan véritablement fertile et universel, mais dont jamais personne n’a approché en fait de présomption, ou plustôt de cette arrogance, qu’une gloire justement acquise, mais mal soutenuë, inspire quelquefois aux meilleurs ouvriers. Car il se donnoit à lui-même libéralement les épithètes les plus flatteuses et les surnoms les plus relevez : comme ceux de tendre, par éxemple, de moëlleux, de magnifique, de délicat, de consommateur de l’art, sorti originairement[[3:Tout ceci est confirmé par le témoignage d’Athénée, liv. XII, ch. 2 et par celui d’Élien, liv. IX ch. II où il cite Théophraste pour garand de ce qu’il en rapporte. Il dit qu’il s’habilloit de pourpre ; qu’il portoit une couronne d’or ; qu’il avoit une canne fort riche ; que les attaches de ses souliers étoient d’or ; qu’il accompagnoit ses tableaux d’inscriptions orgueilleuses ; qu’il travailloit aisément et sans se peiner, toujours causant, ou riant, ou chantant quelque chose d’agréable. C’est le moyen de réussir.]] d’Apollon, et né pour peindre les dieux mêmes : ajoutant qu’à l’égard de son Hercule, qui est encore à Linde[[3:Ville de Rhodes, à l’éxtrémité orientale de l’Isle : aujourd’hui encore Lindo.]], il l’avoit representé précisément et trait pour trait, tel qu’il lui étoit souvent apparu en songe. Enfin la vanité étoit si fort enracinée chez lui, qu’elle ne le quittoit point, même dans ses échecs les plus humilians. Jusques-là, qu’ayant été vaincu par Timanthe, dans la ville de Samos, à la pluralité des meilleurs suffrages, il fut assez présomptueux pour se consoler par le sujet même, qui avoit été la matiere du combat. C’étoit un Ajax, outré de colère contre les Grecs, de ce qu’ils avoient ajugé à Ulysse les armes d’Achille. Voyez[[3:Élien dit que ce fut la réponse qu’il fit à un ami, qui lui faisoit ses condoléances sur cet échec. Moi, dit-il, je me soucie fort peu d’avoir été vaincu ; mais je suis fâché que le fils de Télamon ait reçu encore le même outrage, qu’il essuya autrefois si injustement. Idem, ib. Cette défaite est délicate.]], dit-il, mon héros! son sort me touche encore plus que le mien propre: il est vaincu, une seconde fois, par un homme qui ne le vaut pas! Mais ce n’est pas encore tout: outre qu’il avoit l’ame hautaine, il étoit si déreiglé et si licentieux, dans ses imaginations, qu’il ne rougissoit point de représenter, en petits tableaux, les badinages les plus grossiers de l’amour et de la débauche; espèce de jeu et de gaillardise, dont il se servoit, disoit-il, pour se délasser.

Notes au texte latin, p. 250 :

(A) Abroediaetum se adpellando. Ἀβροδίαιτος ἀνὴρ, le délicat, le poli, l’élégant Parrhase ; c’est le titre qu’il se donnoit et qu’il écrivoit au bas de ses tableaux, voyez Athénée, liv. 15 ch. 10. Le P. H. éxplique cet Abrodiaetum, par delicatum, mollem ac lautum. Cette traduction n’est pas éxacte il falloit dire, liberalem et elegantem : car il n’y a point d’apparence que Parrhase joignît la molesse avec la vertu, et qu’il fit gloire de l’une et de l’autre en même tems: Athénée dit tout le contraire: il insinuë que quelque somptueux et voluptueux que fut Parrhase, jusqu’à faire consister le vrai mérite dans la magnificence des meubles et des habits, comme dans une robbe de pourpre, une couronne, une canne riche, des brodequins superbes et choses semblables ; cependant il vouloit passer pour vertueux, λόγῳ δ’ὦν ἀντελάβετο τ’ἀρετῆς, et écrivoit sous ses tableaux : Ἀβροδίαιτος ἀνὴρ, ἀρετήν τε σέβων, τάδ’ ἔγραψε Παῥῥάσιος. L’honnête et vertu Parrhase a peint ceci. Et voilà proprement ce qui cause l’indignation de l’homme d’esprit, dont il parle dans la suite, qui outré de voir un homme qui n’étoit vertueux qu’en paroles, et qui prophanoit ce beau nom dans ses inscriptions orgueilleuses, lui rabattit son caquet, en changeant Ἀβροδίαιτος en Ραβροδίαιτος, comme qui dirait un homme qui vit du pinceau et de la baguette. Je dois cette remarque à mon ancien maître, le savant et judicieux Perizonius. Carlo Dati a traduit comme le P.H. Che vive delicatamente, che fa vita deliziosa : ajustez cela avec le titre de vertueux. Dalecamp et Casaubon ont aussi donné à gauche ; et enfin Junius lui-même a traduit Mollis vir et virtutem colens. Ces deux mots doivent être surpris de se trouver ensemble sous la plus d’un habile homme.

(E) Pinxit et minoribus tabellis libidines. Comme notre auteur n’a parlé des sujets licencieux du pinceau de Parrhase, qu’à l’égard de ces petits tableaux, qu’il appelloit lui-même de délassement, il est plus naturel de rapporter à cette classe, le tableau d’Atalante et de Méléagre, dont il est parlé dans Suëtone, que de le confondre avec l’Archigallus de Cybele : voyez nos remarques ci-dessus, p. 248. Il semble que Properce aite û en vûe les petits sujets de notre peintre, dans la 7. El. du liv. 3.
In Veneris tabula summam sibi ponit Apelles:
Parrhasius parva vindicat arte locum
.
Et Carlo Dati a donné dans cette pensée. Beroaldus, ou Berauld, substituoit Pyreïcus à Parrhasius, parce que notre Pline fera bientôt mention d’un Pyréicus, qui s’est signalé dans les ouvrages de miniature : mais il y a long tems que Scaliger a coulé à fond cette conjecture et rétabli le texte de Properce ; en conservant Parrhasius qui se trouve dans tous les MSS. et en changeant parva en parta,
Parrhasius parva vindicat arte locum
.
Apelle, veut-il dire, s’est surpassé dans sa Venus Anadyomene, mais Parrhase s’est acquis une place distinguée entre les peintres, pour avoir perfectionné l’art. C’est le jugement de Pline : Parrhasius ipse multa constituit. Primus symmetriam picturae dedit, primus argutias uultus, elegantiam capilli, uenustatem oris, confessione artificum in lineis extremis palmam adeptus.

(F) eo genere petulantis joci se reficiens. C’étoit apparemment l’éxcuse qu’alléguoit Parrhase sur la licence de son pinceau dans ces petits sujets : elle ne vaut rien : elle ne peut venir, que d’un cœur impur, ou du moins d’un homme qui brave l’honnêteté, et qui se met peu en peine des mauvais effets de ses imaginations. Notre Pline blâme partout cet éxcès : Heu ! Prodigiosa ingenia, dit il, dès le commencement du 33. livre, quot modis auximus pretia rerum ! accessit ars picturae ad aurum et argentum, quae caelando cariora fecimus. Didicit homo naturam prouocare. Auxere et artem uitiorum irritamenta. In poculis libidines caelare iuuit ac per obscenitates bibere : et au liv. 14 ch. 22 Vasa adulteriis caelata, tanquam per se parum doceat libidines temulentia. Les plus sages d’entre les payens ont parlé comme lui ; Seneque, Ciceron, Horace, quand ils ont consulté la nature et l’expérience, ont censuré cet abus. Properce même a moralizé sur ce sujet : voyez la 5. El. du liv. 2:
Templa Pudicitiae quid opus statuisse puellis,
Si cuivis Nuptae quidlibet esse licet ?
Quae manus obscenas depinxit prima tabellas,
Et posuit casta turpia visa domo :
Illa puellarum ingenuos corrupit ocellos,
Nequitiaeque suae noluit esse rudes.
Ah gemat in terris, ista qui protulit arte
Jurgia sub tacita condita laetitia !
Non istis olim variabant tecta figuris :
Tum paries nullo crimine pictus erat.

Mais personne ne s’est élevé avec tant de force contre cette licence, que les Peres de l’Eglise. Ce n’est pas qu’ils ayent blâmé la peinture en général ; mais ils vouloient que le pinceau se renfermât dans ses justes bornes ; licite pingere, dit Tertulien : et Sidonius Apollinaris dans la description qu’il fait d’une de ses métairies ; Non hic per nudam pictorum corporum pulcritudinem turpis prostat historia, quae sicut ornat artem, sic deuenustat artificem. Enfin l’éxcuse de Parrhase est coulée à fond par ces belles paroles de l’Orateur romain : Neque enim ita generati a Natura sumus, ut ad ludum et jocum facti esse uideamur, sed ad seueritatem potius et ad quaedam studia grauiora atque majora. Ludo autem et ioco uti illo quidem licet ; sed sicut somno et quietibus ceteris… ipsumque genus iocandi non profusum, non immodestum, sed ingenuum et facetum esse decet. Ut enim pueris non omnem licentiam ludendi damus ; sed eam quae ab honestis actionibus non sit aliena ; sic in ioco ipso aliquid probi ingenii lumen eluceat. Duplex omnino est iocandi genus : unum illiberale, petulans, flagitiosum, obscenum : alterum elegans, urbanum, ingeniosum, etc. Offic. Lib. I. c. 19. Appliquez ces préceptes à la peinture et à la poësie. Elles sont bonnes et agréables, si elles se renferment dans leurs bornes ; mais ils ne faut pas qu’elles enseignent le vice. Je ne sçai aucun gré à un homme d’esprit, d’avoir rimé des Psaumes, lorsqu’on voit, à la suite de ses œuvres, des Epigrammes ordurieres qui le deshonorent. C’est faire comme Parrhase, qui après avoir peint les dieux et les heros, va se délasser dans un lieu public ; ou comme M. Bayle, qui, après avoir parlé comme les philosophes les plus sublimes, dans le Lycée et dans l’Académie, se prostituë dans un corps de garde avec des goujats.

Dans :Parrhasios : orgueil(Lien)

, p. 56-57

C’est une peinture fidelle du peuple d’Athènes, qui brille de mille traits savans et ingénieux. Car ne voulant rien oublier, touchant le caractere de cette nation, il l’a representée, d’un côté, bizarre, colere, injuste, inconstante ; et de l’autre, humaine, clémente, sensible à la pitié, et, avec tout cela, fiere, hautaine, glorieuse, féroce, et quelquefois même, basse, poltronne et fuyarde. Ce qu’il y a de plus hardi, c’est que toutes ces éxpressions différentes y sont très bien mênagées, distribuées en divers grouppes, et toutes renfermées dans un même quadre[[3:L’habile et ingénieux Socrate, qui connoissoit si bien le peuple d’Athènes, n’auroit-il point dirigé notre Parrhase, dans la composition de cette piéce ? Voyez Xénoph. Mém. Socr. à l’article de Parrhase.]].

Note au texte latin, p. 248 :

(I). Pinxit et Demon Atheniensium. C’est la leçon de la I. Venitienne, qui porte, pinxit eudemon, c. à. d. pinxit et δῆμον Atheniensium, le Peuple d’Athenes ; où vous voyez qu’il conserve le nom grec des tableaux les plus fameux, pour ne pas dépaïser les lecteurs, qui avoient quelque connoissance de ces sortes de choses et qui étoient au fait de la plus grande partie de ces antiquitez. À l’égard de la chose même, Carlo Dati avouë ingénument qu’il ne sauroit s’imaginer de quelle manière fit ce peintre pour représenter tant de choses à la fois : volebat namque varium, iracundum, injustum, inconstantem ; eundem vero exorabilem, clementem, misericordem, excelsum, gloriuosum, humilem, ferocem, fugacemque et omnia pariter ostendere. Voilà en effet, bien des idées pour un tableau, et cependant l’unité du sujet y est gardée : c’est le Genie du peuple d’Athenes. On ne peut pas dire, que ce ne fut qu’avec une seule figure, comme les sculpteurs, et entr’autres Léocharès, qui fit une statuë du même peuple, au rapport de Pausanias : car comment réunir tant de perfections et tant de défauts en un seul personnage ? la chose n’est pas possible. Je conçois donc que Parrhase fit un grand tableau, où, par divers grouppes bien mênagés, il disposa artistement toutes ces idées. Socrate, qui connoissoit si bien les bons et les mauvais endroits de ses concitoyens, n’auroit-il point dirigé à cet égard le pinceau de son ami ? Car nous apprenons de Xénophon que ce peintre avoit souvent des visites de Socrate et qu’il en profitoit. Après cela, je ne suis plus surpris de la hardiesse de son entreprise. Si les peintres sont agréables aux sages, les sages sont agréables aux peintres. Raphaël, quoique jeune, étoit fort éclairé ; mais ces habiles gens du XVI siècle, ces papes, ces cardinaux du premier mérite, qui étoient perpétuellement autour de lui, ne dirigoient-ils pas ses conceptions, ne les corrigeoient ils pas quelques fois, ne les élevoient ils pas à ce haut point de sublime que nous y admirons ? Je remarque en second lieu, qu’Euphranor avoit fait quelque chose de semblable pour les Athéniens. Pausanias raconte qu’on voyoit à Athenes, sur un des murs de la place, nommée Ceramicos, une peinture, qui représentoit leur Thésée, établissant au milieu de ce peuple, les loix de sa démocratie. Ce sujet pouvoit être aussi étendu que celui de Parrhase. Enfin j’observe que le même Euphranor, aussi grand statuaire qu’habile peintre, avoit fait un Pâris de bronze, où l’on reconnoissoit visiblement le juge des déesses, l’amant d’Hélène, et le meurtrier d’Achille ; voyez le liv. XXXIV, §19 n. 16. Tout cela peut nous aider à concevoir le projet et l’exécution du tableau de Parrhase ; d’autant plus que ce peintre avoit une fécondité de génie, que toute l’Antiquité a remarquée : Fecundus artifex ! dit notre Pline.

Dans :Parrhasios, Le Peuple d’Athènes(Lien)

, p. 98-99; 291

Pausias s’éxerça aussi à de grands tableaux, mais toûjours en cire, où il éxcelloit. On en a plusieurs qui sont estimez : mais celui qu’on admire le plus et qu’on peut voir dans le Portique de Pompée, est cette fameuse Immolation, qui est toute originale ; que plusieurs ont imitée depuis, mais que personne n’a véritablement égalée. La beauté de cette pièce gît principalement dans la représentation d’un bœuf, destiné au sacrifice. On voit que le peintre en a voulu faire concevoir toutes les dimensions en longueur, aussi bien qu’en largeur ; et cependant il l’a peint de front, présentant la tête au spectateur, au lieu de le peindre de côté, comme il auroit pû faire avec moins de peine. Avec tout cela, et quoique l’animal se présente directement, on apperçoit clairement toute sa longueur. C’est la premiere chose qu’il y a d’admirable dans la composition du tableau : loin d’avoir évité le raccourci, il l’a cherché et l’a bien rendu. Mais voici ce qui ne l’est pas moins, c’est qu’il en a surmonté les difficultez à plus d’un égard. Car chacun sçait que tous ceux qui se mêlent de peindre, pour faire ressortir les objets avec plus de facilité, peignent ordinairement blanchâtres, ou d’une couleur qui en approche, ces endroits éminens, s’il faut ainsi dire ; et un peu plus bruns, ceux qu’ils veulent enfoncer au-dessous des autres. Ici, au contraire, l’animal est tout noir, depuis la tête jusqu’aux piez, en sorte que la même couleur, dont il a peint sa figure, lui a servi à en tracer les ombres ; en quoi certes il a fait paroître, non seulement beaucoup d’intelligence dans le clair-obscur, mais encore une délicatesse infinie dans l’éxécution ; puisqu’il a fait déborder inégalement des choses de même couleur, par des dégradations insensibles, et qu’il a solidement appuyé des membres, qui étoient comme rompus les uns avec les autres, par l’uniformité des bruns. Il seroit long de parler de ses autres ouvrages[[3:Pausanias nous parle encore de quelques ouvrages de ce peintre, qui ont été admirez ; et entr’autres d’un Cupidon, qui ayant jetté son arc et ses fléches, prend une lyre à la main, pour s’en divertir : et d’une Yvresse si bien peinte, dit-il, qu’on apperçoit, à travers un grand verre, qu’elle vuide, tous les traits de son visage enluminé. Cependant M. Perrault nous dit séchement que les Anciens Peintres n’entendoient, ni la perspective, ni le clair-obscur. J’aime mieux en croire Pausanias, qui dit avoir vû et admiré les chefs-d’œuvre qu’il décrit. Voyez nos remarques : et pour ce qui est de M. Perrault, voyez ses raisonnements sur ce sujet dans son Parallèle des Anc. et des Mod. Tom. I. p. 212 et suiv.]].

Notes au texte latin, p. 291 :                                                                                      

(P) Coloremque condiant nigro. C’est la leçon de la I. Ed. de Rome. Celle de Venise porte condant, qui a prévalu : mais il ne s’agit pas là de cacher la couleur, il s’agit de l’adoucir et de la tempérer, et il me semble que condiant éxprime beaucoup mieux la pensée de Pline : c’est le mêlange du blanc avec un peu de noir. Candicantia faciant.

(Q) Magna prorsus arte. La leçon de Venise porte, magna prorsus arte in equo egit, ira exsudente et confringente solida omnia : ce qui revient à un MS. de Dalecamp, quod magna prorsus arte in equo agit, extundente et confringente solida omnia. Quoi qu’il en puisse être, le sens est toûjours le même, In aequo, c. à. d. in aequali, non eminente, sur une surface plane ; le tableau même : extantia, c. à. d. eminentia, les objects qui sortent, ou qui paroissent sortir ; in confracto, dans les objects, qui sembloient rompus par l’uniformité des ombres avec la couleur du bœuf, qui étoit noir.

Dans :Pausias, le Bœuf(Lien)

, p. 97-98; 290

[[4:suit Pausias Hémérésios]] [[2:Fait servir l’Amour à la Peinture]] Une autre chose, qui ne contribua pas peu à le rendre habile, c’est qu’il aima dans sa jeunesse une fille de son païs, nommée Glycère ; et comme ce fut elle qui inventa, dans la Grèce[[3:En la CI. Olympiade. Voy. Pline, l. 21 §3. Ex ingenio Pausiae pictoris atque Glycerae coronariae, dilectae admodum illi, cum opera eius pictura imitaretur.]], ces guirlandes ou couronnes de fleurs, qu’on met sur la tête des jeunes personnes, il eut occasion par là de les imiter si bien, dans sa maniere caustique, qu’il osa ensuite le disputer à tous les peintres en ce genre, et qu’il l’emporta en effet sur eux tous : parce qu’ayant tous les jours, devant lui, les nouveaux modelles, que sa maîtresse lui faisoit voir, et qu’elle varioit à dessein, pour provoquer l’art, par la nature même, il enchérit encore par-dessus, et poussa cette branche de la peinture jusqu’à une variété si grande et de fleurs et de desseins, que nul autre, après lui, n’a pû atteindre au même degré de perfection, au moins à cet égard. [[2:Et la Peinture à l’Amour]]. Enfin, après avoir peint, en diverses manieres, les ouvrages de sa bien-aimée, il la peignit elle-même au naturel et telle qu’elle étoit ordinairement ; c’est-à-dire, assise au milieu de ses fleurs, et une guirlande à la main, qu’elle finit. Et il ne faut pas s’étonner de la beauté et de la réputation de cette piece, qui passe pour un chef-d’œuvre en général, et pour le sien propre en particulier, puisque l’amour et la reconnaissance, de concert avec le génie, y ont travaillé à l’envi. Ce tableau a plus d’un nom entre les peintres ; les uns le nomment Stephanoplocos, la bonne-faiseuse de couronnes ; et d’autres Stephanopolis, la vendeuse de guirlandes ; ce qui revient à la même chose ; quoique le dernier titre ait plus de rapport au premier état de Glycere[[3:Au reste, je dirai ici à l’honneur de Pausias, qu’il ne faut pas confondre sa Maîtresse, qui étoit de Sicyone, aussi bien que lui, avec une autre Glycere, la courtisane, bonne amie de Praxitèle, au rapport de Pausanias, et Béotienne.]], qui, ayant été pauvre, dans sa jeunesse, n’avait trouvé sa subsistance, pour ainsi dire, qu’au bout de ses doigts[[3:Voilà deux articles, qui la justifient de libertinage. Elle étoit pauvre ; et gagnoit sa vie de ses propres mains. Comparez à cela le portrait d’Antiphile dans Térence, Heaut. Act. II sc. 2. En voici quelques traits : Nous l’avons trouvée dans sa chambre, attachée à sa tapisserie et travaillant avec beaucoup d’application. Elle avoit un habit simple et modeste, sans or, ni argent, et tel qu’il convient  une personne, qui ne s’orne que pour elle-même. Il ne paroissoit aucun fard sur son teint, ni céruse sur sa joüe, ni vermillon sur les levres. Ses cheveux étoient négligez et tomboient indistinctement autour de la tête.]]. Je ne sçai si l’original est encore en être ; du moins on l’a vû en Italie pendant longtems, mais nous en pouvons juger par la copie éxcellente, que Lucullus en acheta, à Athènes, pendant la fête des Bacchanales, et qui lui coûta deux talens attiques[[3:1200 ecus d’Ant. à 600 ec. le talent.]].

Notes au texte latin, p. 290 :

(L) Glyceren municipem suam. C’est la leçon de Venise, et non pas Glyceram. Notre auteur a déjà parlé de cette Glycere, dans le liv. 21. §3. Je ne rapporterai que la traduction de Du Pinet : « Et de fait ceux de Chiarenza (il veut dire Sicyone) furent les premiers qui compasserent les couleurs des fleurs qu’on mettoit ès chappeaux. Toutes fois cela vint de l’invention de Pausias, peintre, et d’une bouquetiere, nommée Glycera, à qui ce peintre faisoit fort la court, jusques à contrefaire au vif les chappeaux et les bouquets qu’elle faisoit. Mais cette bouquetiere changeoit en tant de sortes l’ordonnance de ses chappeaux, et le meslange des fleurs qu’elle y mettoit, pour mieux faire rêver son peintre, que c’étoit grand plaisir de voir combattre l’ouvrage naturel de Glycera, contre le savoir du peintre Pausias. Et de fait, encore y a-t-il des tableaux en être, qui sont de la facture de ce peintre, et signament un, qui est intitulé Stephanoplocos, où il peignit sa bouquetiere au vif. »

(M) Postremo pinxit ipsam.. quae, e nobilissumis, tabula. C’est la leçon de la I. Ven. Au lieu d’ipsam, les Edd. postérieures portent illam, et après nobilissimis, elles ajoutent eius : cette addition est de Gelenius : mal. Ipsam est beaucoup mieux qu’illam. Parce qu’ayant peint ses guirlandes, il la peignit enfin elle-même : et pour ce qui est d’eius, il affoiblit l’éloge du tableau : il donne à entendre que c’étoit une des meilleures pièces de Pausias ; ce n’est pas assez ; selon la I. Ed. c’étoit un des plus fameux tableaux qu’il y eut au monde.

Dans :Pausias et la bouquetière Glycère(Lien)

, p. 97

C’est ainsi qu’il commença à décorer les voutes et les lambris et qu’il en fit venir la mode, dans la Grèce ; sans négliger pourtant de faire des tableaux portatifs dans le même genre. Pour les mieux conserver, il les faisoit petits, et pour les rendre plus gracieux, il choisissoit ordinairement pour sujets, de jeunes enfans, ou des Cupidons. Ce qui fit dire à ses émules, qu’il ne préferoit cette sorte de figures, que parce qu’elles demandent plus de tems, et que, par ce moyen, il avoit tout loisir de finir ses pièces ; comme si c’étoit un reproche fort redoutable, pour un peintre qui connoît la sublimité de son art. Mais pour fermer la bouche à ses envieux et se procurer encore la réputation d’artisan habile et expéditif, il se mit en tête de ne mettre qu’un jour à une figure, et en effet il y réussit au gré de ses desirs : ce tableau, qui représentoit un enfant, fut nommé, en sa langue, Emeresios, comme qui diroit, L’Enfant d’une journée[[3:Ou l’ouvrage d’un jour ; mais comme l’adjectif est au masculin, et qu’il s’agit d’une figure humaine et enfantine, j’ai crû, qu’il falloit traduire, l’Enfant d’une journée : Ἠμερήσιος.]]. [[4:suite : Pausias et Glycère]]

Dans :Pausias, L’Hémérésios(Lien)

, p. 11; 168

Ce fut un autre Corinthien, nommé ARDICES, ou un Sicyonien, nommé TELEPHANE, qui commencerent à l’exercer ; à la vérité encore sans couleur, mais en ajoutant, au premier trait, ces lignes et ces distinctions intérieures, qui forment les membres et les drapperies : ce qui n’empêchoit pas que, dans ces commencemens, le dessein étant encore si informe, et le coloris n’en étant pas, les figures fussent assez peu ressemblantes, pour avoir besoin d’écrire, au bas du tableau, le nom des objets[[3:[1] Surtout par rapport aux animaux à quatre-piez, dont il y en a plusieurs qui se ressemblent. C’est ainsi qu’il faut entendre ce passage, sans s’arrêter au ridicule qu’y a voulu donner un prédicateur du XVIIe siècle : Ce n’étoit pas, dit-il, en parlant d’Apelle, comme ces badauds, qui étoient si niais, que pour peindre un cheval, ils faisoient un âne, ou un bœuf, et encore si mal fagoté, qu’il falloit écrire en gros cadeaux, Messieurs, ceci est un âne, ceci est un buffle : encore mentait-il, car ils étoient deux, lui le beau premier, et celui qu’il avoit peint, l’autre : et encore ne sais qui étoit le plus grossier. Essai des merveilles de nature, p. 330.]] qu’on avoit voulu représenter.

Note au texte latin, p. 168 :

(A) Ideo et quos pingerent ascribere institutum. Quand la peinture commença à paroître, et qu’elle étoit encore, pour ainsi dire, dans le laict et dans les langes, ces premiers dessinateurs représentoient les animaux avec si peu d’art et de ressemblance, qu’ils écrivoient eux-mêmes au bas de leurs figures : ceci est un bœuf ; ceci est un cheval. C’est Élien, qui nous rapporte ce fait au liv. X. ch. 10 de ses Hist. Divers. Sur quoi M. Perizonius remarque fort bien, qu’il faut distinguer 2 choses, par rapport à l’antiquité de la peinture : savoir les premiers crayonnemens de ces particuliers oisifs, qui traçoient sur le blanc, avec du noir, une idée grossière des objets ; et le dessein même, réduit en art et en pratique, par des ouvriers qui en firent profession. C’est Pline lui-même, qui lui a fourni cette idée : Inuentam dicunt a Philocle…primi exercuere Ardices, etc.

Dans :Peintres archaïques : « ceci est un bœuf »(Lien)

, p. 88; 284-285

Jusqu’à présent nous n’avons fait mention que des peintres en grand, de la premiere volée : c’est-à-dire, de ceux qui ont éxcellé à representer les choses et les personnes, dans leurs dimensions naturelles : ici nous devons une place à ceux qui se sont signalez EN PETIT, et qui n’ont fait que des tableaux de médiocre volume, ou simplement de mignature. Entre lesquels se présente d’abord Pyréïcus[[3:Les MSS. et les Edd. varient sur le nom de ce peintre. Les uns lisent, Precius ; les autres, Pratius, la premiere Ed. de Ven. Pincus. On prétend que Properce en a parlé dans la sept. Elég. du 3. livre : voyez nos remarques.]], peu inférieur aux plus grands maîtres, et dont le goût particulier a eu quelque chose qui semble se contredire, par rapport aux grands talens qu’on lui attribuë. Car quoiqu’il ne se soit appliqué qu’aux petites choses, il y a tellement réussi, que la gloire qu’il y a acquise n’est point petite : de sorte qu’en avilissant son pinceau, du côté du sujet, il l’a veritablement ennobli du côté de l’art, et a remporté la palme sur tous les peintres de son ordre. Et qui s’imagineroit qu’on pût se faire un grand nom, dans la peinture, à représenter, comme il a fait, des boutiques de barbier et de cordonnier, des ânes, des mulets, des charrettes, chargées de fruits et de viandes et autres denrées ; ce qui lui a fait donner le nom de RHYPAROGRAPHOS[[3:Ῥυπαρόγραφος, à la lettre, peintre d’épines et de ronces, c.a.d. de choses de néant. Voyez sur ce sujet l’excellent auteur des Réflexions sur la poésie et sur la peinture, tom. I p. 47 et tom. II p. 65. En général, les Flamands et les Hollandais ont beaucoup donné dans le genre de Pyréicus. Leur pinceau est admirable, mais le sujet n’en vaut rien. J’en excepte Vanderwerff.]], comme qui dirait, le peintre des choses communes ? En quoi il prenoit d’autant plus de plaisir, qu’il y trouvoit mieux son compte, parce que ces sortes de pièces se débitoient plus facilement et plus advantageusement que les plus grands tableaux des meilleurs maîtres de son siècle. Ce qui a fait dire à Varron, dans son Traité des beaux-arts, que tandis que Pyréïcus s’enrichissait avec ses petites pièces, Les galeries de Ménius demeuroient toûjours couvertes d’une seule peinture de Sérapion. C’est que celui-ci, qui ne sçut jamais représenter la figure humaine, réussissoit admirablement dans les décorations de théatre : et d’autre côté, Denys de Colophone[[3:Le même, dont il est parlé dans Elien, liv. IV. Ch. 3. qui imitoit Polygnote en tout, à la grandeur près. Nous avons des ouvriers de ce caractere.]], qui n’entendoit rien aux décorations, ne sut jamais peindre que des hommes ; ce qui le fit surnommer l’Anthropographe, tant il est vrai que les talents sont partagés en peinture, comme en autre chose.

Notes au texte latin, p. 284-285 :

(E) Proposito nescio an destruxerit se se. C’est la leçon de la I. Ven. Un MS. de Dalecamp, is proposito nescio an deiecerit se : Pintianus conjecturoit detriuerit : Dalecamp, detraxerit. Je suis pour la leçon commune : Cicéron a dit de même dans ses Tusc. Liv. 5 Suos obruere consulatus, et contaminare extremum tempus aetatis ; en parlant de Marius, lorsqu’il fit mourir Catulus. Mais j’adopte cet is du MS. de Dalecamp, qui me paroît nécessaire. Du reste le sens est clair. Pyréïcus étoit habile peintre, arte paucis postferendus : il auroit pu s’élever jusqu’au sublime de la peinture, mais il se fit tort à lui-même, en ne peignant que des choses basses et communes ; et ce qui fait bien voir qu’il auroit pû exceller dans des sujets relevez, c’est qu’il a remporté la palme sur tous ceux qui ont traité des sujets communs : Quoniam humilia quidem secutus, humilitatis tamen summam adeptus est gloriam. Mais il voulut suivre son goût ; in his consummatae uoluptatis : et peut-être aussi son intérêt ; quippe quae, e picturis, pluris coepere uenire, quam maximae multorum. C’est à peu près le sens de la leçon de Venise : quippe coepturus ea e picturis uenire. Car si vous lisez, quippe eae, à quoi rapporterez-vous ce feminin ? Relisez ce qui précède, et vous trouverez qu’il faut nécessairement ea, ou quae, et ensuite, e picturis, qui fonde le feminin qui suit, quam maximae multorum. Pour venir maintenant à la chose même, les artisans ne sauroient faire trop d’attention à cette remarque de Pline, c’est que le vrai moyen de dégrader la peinture et sa propre réputation, est de s’attacher à peindre les choses basses, qui n’intéressent véritablement personne. Il faut suivre son talent et donner quelque chose à une inclination dominante ; mais il faut la rectifier, et mettre quelque sel et quelque utilité dans tout ce qu’on peint. Comment serons-nous touchez par un original incapable de nous affecter ? D’un villageois, par exemple, passant son chemin, en conduisant deux bêtes de somme ? Les sujets que Téniers, Wowermans et les autres peintres de ce genre ont représentez, n’auroient obtenu de nous qu’une attention très légère, dans la nature même. Que produiront-ils quand ils seront peints ? Nous applaudirons au talent de l’ouvrier pour l’imitation : nous louerons l’art du peintre, mais nous le blâmerons d’avoir choisi pour l’objet de son travail des sujets qui nous intéressent si peu : une boutique, un corps de garde, une cuisine de païsan, des matelots qui fument ou qui jouent aux cartes, d’autres qui font encore pis, et autres choses semblables. Voyez les Réflexions sur la poésie et sur la peinture, t. I p. 47 et t. 2 p. 65.

Dans :Piraicos et la rhyparographie(Lien)

, p. 81-82; 279-280

Pour revenir à Protogène, on assure que pour l’amour de ce tableau, le roi DÉMÉTRIUS POLIORCÈTE[[3:Voyez sa Vie tout au long dans Plutarque. On le nommoit Poliorcete, comme qui diroit, Preneur de villes, conquérant.]], ou le Conquérant, ayant mis le siège devant Rhodes, et ne pouvant gueres la prendre que du côté où travailloit le peintre, et où étoit son Ialyse[[3:Ce tableau d’Ialyse étoit consacré dans un bâtiment public, dans le faux-bourg ; mais ce bâtiment étoit fort de lui-même et bien gardé, par un détachement de la garnison, avec ordre de le défendre jusqu’à l’éxtrême. Pour Protogene, il étoit un peu loin de là, dans le camp même de l’ennemi. Félibien suppose que ce tableau étoit dans la maison de Protogène ; mais Pline ne le dit point.]], il aima mieux épargner la ville, que de réduire en cendre ce chef-d’œuvre ; comme il l’auroit pu avec la derniere facilité. Si bien que l’amour de la peinture l’emporta cette fois-là sur l’amour de la victoire. C’est que le peintre travailloit alors dans le faux-bourg, où étoit enclose sa maisonnette, avec un petit jardin, et où il se plaisoit si fort, que quoique dans le camp des ennemis et au milieu des assiégeans et des assiégez, non sans danger d’y perdre la vie, il ne fut jamais possible de l’interrompre dans l’éxercice de son art : jusqu’à ce qu’enfin mandé par le prince, et interrogé par lui, comment il avoit le courage, lui Rhodien, de travailler hors les murs d’une ville assiégée et dans le camp même des ennemis, il répondit naïvement, qu’il savoit bien que Demetrius étoit venu pour faire la guerre à ceux de Rhodes, mais non pas pour attaquer les beaux-arts. Sur quoi, le jeune heros, charmé d’une si belle parole, ordonna aussitôt des gardes pour sa sûreté, ravi de conserver la main savante, qu’il avoit déjà respectée[[3:C’est qu’il auroit pû réduire en cendres tout le faux-bourg ; et le lieu même où étoit Ialyse : mais par vénération pour cette pièce, et dans l’esperance de l’avoir saine et sauve, il s’en abstint.]], contre ses propres intérêts. On ajoute même qu’il poussa la complaisance jusqu’à la magnanimité ; car de peur de le détourner trop souvent et d’interrompre, de cette manière, les productions de son génie, il venoit lui-même, de tems en tems, à son atelier, pour le voir peindre, au milieu du bruit et des coups, de part et d’autre, plus content du plaisir de voir naître de belles choses sous le pinceau d’un grand maître, que de celui, qu’il auroit pu prendre à renverser des murailles et à brûler tout un faux-bourg.

[Il faut avoûer aussi, que les Rhodiens[[3:Tout ceci est tiré d’Aulugelle, qui dévelope, à mon gré, tout ce que ce fait avoit d’obscur, Noct. Att. XV. 31. Voy. nos remarques.]] s’y prirent d’une maniere assez adroite, pour engager le Destructeur des Villes, à respecter la leur, et le tableau de Protogene. Cette excellente pièce étoit alors consacrée hors des murs, dans le faux-bourg, en un bâtiment public, assez fort de lui-même, et outre cela défendu par un détachement de la garnison, qu’on pouvoit toûjours rafraichir, et qui avoit ordre de faire ferme jusqu’à la deniere éxtrémité. De sorte que le conquerant ne pouvoit guère s’en rendre le maître que par le feu ; ce qu’il auroit bien voulu éviter, par la passion éxtrême qu’il avoit de leur enlever cette fameuse pièce[[3:Ajoutez aussi la crainte de détruire un chef-d’œuvre, déjà célèbre dans toute la Grèce.]]. Dans le tems donc, qu’il commençoit à attaquer cet endroit, de toutes ses forces, voici des députez de la Ville, qui arrivent au camp, et qui lui representent le tort qu’il va se faire, s’il persevere dans son entreprise. « A quoi vous amusez vous, grand prince, lui dirent-ils, de vouloir détruire ce quartier, avec le tableau ? Qu’y gagnerez-vous, quand vous aurez tout reduit en cendres ? Vous trouverez encore des murs, de ce côté-là, aussi redoutables, qu’aucun des dehors de notre place. Ne seroit-il pas plus digne de vous de nous attaquer par un autre endroit, en conservant ce chef-d’œuvre de notre peintre, ou pour vous, ou pour nous ? Car enfin si vous l’emportez par la voye que nous vous indiquons ; en ce cas-là, nous serons tout à votre discrétion, et vous triompherez de nous et de notre Ialyse à la face de l’univers ; au lieu que si vous vous obstinez à brûler le quartier, où est le tableau, et que vous ayez le malheur d’échoûer contre le reste, prenez garde, qu’on ne dise dans le monde, que n’ayant osé attaquer les Rhodiens d’une maniere noble et genereuse, vous vous etes amusé à faire la guerre à un peintre et à un mort[[3:Il y a dans le texte de Gellius, Cum Protogene mortuo : avec Protogene déjà mort : mais comment étoit-il mort, puisqu’il vivoit, et qu’il peignoit, et qu’il a vécu longtems depuis ? Cet endroit a fort embarrassé les interprètes. Mais Jacq. Gronovius conjecture fort heureusement qu’il faut lire Cum Protogene e mortuo : avec Protogene et avec un mort : c. à. d. son Ialyse, qui étoit une chose morte.]]. » C’est-à-dire, à Protogene et à son Ialyse. Il n’en falut pas d’avantage pour picquer la grandeur d’ame du Conquerant, et pour le disposer à mênager sa propre gloire, en mênageant les beaux-arts.]

Notes au texte latin, p. 279-280 :

(F) Propter hunc Ialysum, ne cremaret tabulam. C’est la leçon de la I. Venitienne ; la leçon commune porte tabulas : mais je ne vois pas pourquoi il s’agiroit ici de plusieurs tableaux, puisque Pline n’en nomme qu’un propter hunc Ialysum. De tous les Anciens, qui ont parlé de ce fait, personne ne l’a mieux developpé que Gellius, liv. 15 chap. 31. Voyez ci-dessus l’Histoire de la peinture, p. 82. Faute de l’avoir consulté, on a commis diverses fautes, qui sautent aux yeux. M. de Piles dit à ce propos, que Demetrius donna de grands témoignages de son amour pour la peinture au siège de Rhodes, où il voulut bien employer quelque partie de son tems à visiter Protogene, qui pour lors faisoit le tableau de Ialysus : Rem. Sur le Poëme de Du Fresnoy, p. 99. Il y a dans ce petit mot 3 ou 4 contradictions. 1. Le tableau d’Ialyse étoit déjà fait et consacré. 2. Il étoit dans un bâtiment fortifié, le seul endroit par où on pouvoit prendre la ville. 3. Protogene étoit dans le faux-bourg, au milieu du camp des ennemis et travaillait à un Satyre joûant de la flûte, comme Pline le dira bientôt. 4. S’il eut travaillé à cet Ialyse, Démétrius en eût été le maître, et auroit pû l’enlever, sans attaquer la ville. Félibien n’est pas plus éxact : Ce tableau de Ialysus fut le salut de toute la ville de Rhodes, lorsque Démétrius l’assiégea. Car ne pouvant être prise que du côté où étoit la maison de Protogène, ce roi aima mieux lever le siège que d’y mettre le feu et de perdre un ouvrage si admirable : et ayant su que pendant le siège Protogène se tenoit dans une petite maison qu’il avoit hors de la ville… tom. I p. 71. Voilà Protogene qui a deux maisons ; une dans le camp de l’ennemi, où il travailloit ; et l’autre dans la ville, où étoit son Ialyse. Tout cela n’est point exact ; Protogene n’avait qu’une maisonnette dans le faux-bourg ; il étoit pauvre et il ne craignoit point les ravages du soldat : casula Protogenes contentus erat. Et son tableau d’Ialyse étoit déjà consacré dans un édifice public, gardé par des soldats, et qu’on ne pouvoit prendre qu’en y mettant le feu, selon la méthode de Démétrius. Il est vrai que Plutarque semble favoriser M. de Piles : Car de adventure en ce tems-là Protogenes, éxcellent peintre, natif de la ville de Caunus, leur peignit le portrait de Ialysus : Démétrius en trouva le tableau dedans un logis, qui étoit hors la ville, en l’un des faux-bourgs, étant presque tout achevé ; et comme les Rhodiens lui eussent envoyé un hérault pour le supplier de pardonner à un si bel ouvrage et ne souffrir point qu’il fût gâté, il leur fit réponse, qu’il souffriroit plutôt qu’on bruslât les images de son père, qu’un si éxcellent chef-d’œuvre et d’un si grand labeur… Plut. in Demetrio, p. m. 326. Je m’en tiens à Aulu-Gelle, et à la correction de M. Gronovius. Voyez les petites notes de l’Hist. de la peinture, p. 82.

(G) Gaudens quod posset manus sevare, quibus jam pepercerat. C’est que n’ayant pas trouvé à propos d’attaquer la ville de Rhodes, du côté du fort, où étoit l’Ialyse, de peur de bruler un chef-d’œuvre, et de s’en retourner sans autre fruit, il avoit épargné les mains de Protogene, en épargnant leur ouvrage. C’est une figure assez familiere aux bons auteurs : Nam et Zeuxidos manus vidi nondum vetustatis injuria victas : Petrone, ch. 83. Du reste, on a respecté de tout tems la main des grands hommes, lors même qu’elles s’étoient signalées sur des sujets qui ne le méritoient pas : Et pourtant sitôt qu’Aratus eut remis la ville en liberté (Sicyone), il fit incontinent effacer et abattre toutes les autres images des tyrans : mais il fut assez longuement en doute, s’il effaceroit aussi celle d’Aristratus, lequel avoit regné du tems de Philippus (le Pere d’Alexandre) pource qu’elle étoit peinte des mains de tous les disciples de Melanthus, étant auprès d’un chariot de triomphe, qui portoit une victoire, et y avoit Apelles même mis la main, ainsi comme l’escrit Polémon le géographe. C’étoit une œuvre singuliere et très digne de voir, de maniere qu’Aratus du commencement flechissoit et se laissoit aller à la vouloir conserver pour l’éxcellence de l’artifice : toutesfois à la fin, poussé de la haine éxcessive qu’il portoit aux tyrans, encore commanda-t-il qu’on l’effaçat. Mais on dit que le peintre Nealces, qui étoit des amis d’Aratus, le pria les larmes aux yeux de vouloir pardonner à un si noble chef-d’œuvre : et comme Aratus n’en vouloit rien faire, il lui dit que c’étoit bien raison de faire la guerre aux tyrans, mais non pas à leurs images. C’est à peu près la pensée de Protogene ; Scire se illi cum Rhodiis bellum esse, non cum artibus. Je n’ignore pas que vous êtes en guerre avec ceux de Rhodes, mais je suis bien sûr que ce n’est pas avec les beaux-arts.

Dans :Protogène et Démétrios(Lien)

, p. 80-81; 277-278

Après tout, la meilleure de toutes ses pièces, et qui a le plus de réputation, est son Ialyse[[3:Les mythologistes supposent que le Soleil, amoureux d’Acanthe, dans l’Isle de Rhodes, en eut trois fils, Ialyse, Camire et Linde : qui ont donné le nom à trois villes de cette isle-là. Ialyse, apparemment, étoit chasseur, comme il paroît par le tableau de Protogene. De sorte que tout concouroit à le rendre vénérable.]], qui est aujourd’hui à Rome, dans le Temple de la Paix. C’est un chasseur, en vénération dans l’Isle depuis longtemps. On dit que Protogene, en travaillant à cet ouvrage, ne vécut que de lupins cuits dans l’eau, uniquement pour se soutenir contre la faim et la soif, de peur qu’en se permettant une nourriture plus succulente, il n’eût émoussé cette pointe de génie et de sentiment, si nécessaire à un peintre qui travaille pour l’immortalité. On ajoute même que, pour le conserver, pendant plusieurs siècles, aussi entier qu’il étoit possible, il le couvrit de quatre couches de couleurs[[3:Cela n’est pas probable dans le sens de Pline : on conçoit bien qu’un tableau bien empâté se conservera plus longtemps ; mais on ne comprend pas comment, la premiere couche venant à tomber en un endroit, la seconde s’accommodera avec le reste, selon la supposition de l’auteur. D’ailleurs, l’écume du chien que le hazard produisit, avoit elle aussi quatre couches de couleur ? Pline ne le dit pas.]], entièrement semblables, dans la pensée que si la première couche venoit à tomber par vieillesse, ou par accident, la seconde lui succédât, et ainsi de suite jusqu’à un entier dépérissement. Ce n’est pas la seule merveile qu’on raconte de ce tableau ; on y voit un chien de chasse, qui est d’autant plus admirable, que le hazard y a eu plus de part que le génie. On assure que Protogene l’ayant peint avec une application éxtrême, et d’une maniere qui ne lui déplaisoit pas, ni du côté de l’attitude, ni du côté du coloris, il ne se trouva embarrassé que sur un seul point, savoir comment il finiroit cette écume, qui sort de la gueule de ces animaux, lorsqu’ils sont fort échauffez ; car, à son avis, il ne manquoit que cela à son tableau, pour en faire une pièce achevée. Le voilà donc à travailler et à suër, autour de cette écume, toûjours fort en peine comment il s’en tirera. Mais après mille coups inutiles, toute son application commence à lui déplaire : il se fâche contre lui-même et contre la peinture ; il voudroit bien attraper le naturel, et faire disparoître l’artifice ; mais il ne peut ; il lui semble qu’il a trop peiné cette écume, et qu’à force d’y retoucher, il l’a écartée de la vérité. Ce n’est pas que l’écume ne fut assez bien peinte, en général, mais elle n’y paroissoit pas, à son gré, telle qu’elle doit être quand elle sort de la gueule d’un chien échauffé. Et ce peintre était si severe et si difficile, qu’il ne se contentoit pas du vraisemblable, en fait de peinture, il vouloit absolument le vrai. Tourmenté donc par cette même délicatesse, qui est le principe de perfection, souvent il avoit effacé l’écume, avec son éponge ; souvent il l’avoit recommencée ; souvent il avoit changé de pinceau, pour voir s’il y réussiroit mieux. Enfin, après plusieurs reprises, ne pouvant venir à bout de se satisfaire, il se dépita si fort contre l’endroit de son chien, où son art avoit échoué, qu’il jetta de colere, contre cette écume scélerate, l’éponge même qu’il tenoit à la main ; et qui étant déja imbuë des mêmes couleurs, les y replaça d’une manière si hûreuse pour son dessein, qu’avec toute sa science et toute son application, il n’auroit jamais osé se flatter d’un pareil succès : et voilà de quelle manière le Hazard produisit, cette fois-là, la Nature même, dans la peinture. Ce n’est pourtant pas la seule fois que le cas est arrivé. Néalce[[3:Il en sera parlé ci-dessous, entre les peintres du second rang, §.XXXn. 20.]], à ce qu’on dit, n’eut pas moins de bonheur à se fâcher, lors qu’ayant peint un cheval tout échauffé et hors d’haleine, avec un homme qui le tient par la bride et qui le flatte sous le poitrail, il croyoit avoir bien réussi en tout, à l’écume près ; mais enfin, au défaut de l’art, l’éponge et le dépit acheverent ce que le pinceau et le genie avoient inutilement tenté.

Notes au texte latin, p. 277-278 :

(Rd) Palmam habet tabularum ejus Ialysus. Toute l’Antiquité a fait mention de cette pièce, comme d’un chef-d’œuvre, qui avoit coûté 7 ans de travail à notre peintre, et qui après avoir échappé divers hazards, fut enfin consumé par les flammes, sous l’empire de Commode, dans le Temple de la Paix, avec toutes les antiques dont il étoit enrichi. Et voilà le sort ordinaire de tous les ouvrages du pinceau. Nos peintres ont un avantage sur les anciens ; au moins la gravure nous conserve l’idée de leurs éxploits, et c’est une consolation pour les connoisseurs. Pour ce qui est d’Ialyse lui-même, sujet du tableau, les uns disent qu’il étoit fils, et les autres, petit-fils du Soleil : quartus is, quem heroicis temporibus Acantho Rhodi peperisse dicitur, Pater Ialysi, Camiri et Lindi : Cicer. De Nat. Deor. l. 3. selon la correction de M. Davies, qui est plus que problable. On prétend que cet Ialyse étoit chasseur et il y a de l’apparence à cela, puisqu’il y avait un chien dans le tableau, qui devoit paroître échauffé et la gueule pleine d’écume. Voyez la suite.

(S) Madidis lupinis vixisse. Voyez ci-dessus, p. 215, ce qu’on a dit sur ce légume, et sur un passage d’Horace, qui y a du rapport. Et pour ce qui est de la sobriété et de la temperance, qui sont nécessaires à un grand peintre, pour conserver la santé, la liberté de l’esprit, la finesse de la vuë, la souplesse de la main, en un mot la bonne disposition de tous ses organes, écoutez les sages conseils de M. du B. dans ses Réf. sur la P. et sur la P. t. 2 p. 92 et suiv. Ce savant homme mérite des remerciments de la part de tous les ouvriers, qui veulent devenir quelque chose et qui aspirent à l’immortalité.

(T) Huic picturae quater colorem induxit. Il faut convenir de bonne foi que Pline ne s’est pas bien éxprimé en cette occasion. Il semble nous faire entendre que Protogene peignit quatre Ialyses, les uns sur les autres, ut decedente superiore inferior succederet. Cela n’est pas concevable ; ou du moins, nous n’en avons aujourd’hui aucune idée. Il se contredit lui-même dans la suite, lorsqu’en parlant de l’écume du chien, il dit que ce fut le hazard, qui le peignit, ou du moins qui lui donna cette vérité, qui lui manquoit. Or il n’est pas naturel de s’imaginer que le hasard ait si bien rencontré quatre fois de suite. Il y a plus d’apparence que ce peintre, travaillant pour l’immortalité, mit à son ouvrage beaucoup plus de couleur qu’à l’ordinaire, et il est certain qu’un tableau bien empâté dure bien plus longtemps qu’un autre, qui ne l’est pas, et fait un meilleur effet.

(U) Subsidio injuriae et vetustatis. C’est ainsi qu’il faut lire, contre la leçon de la I. Venitienne, des MSS. de Vossius de Gudius, de Leyde, et de plusieurs autres, de l’Ed. de Rome, de celle de Parme et des suiv. jusqu’à Hermolaus : qui ont toutes, contra subsidia. Ce savant homme, dans ses curae secundae, retranche la préposition contra, comme superfluë, et lit ainsi, subsidio injuriae et vetustatis, ou, subsidio contra injuriam vetustatis, vel aliquid hujus modi : et depuis ce tems-là, subsidio injuriae, etc. a prévalu dans toutes les Edd. Gronovius n’a point goûté un changement, qui est opposé à tous ses MSS. Il prétend que Pline a pû entendre, par ces subsidia, ce que Vegèce a nommé subsessas, c. à. d. robur secundum et posterum, primam aciem excipiens et sustinens. Car il y en a plusieurs, dit-il, qui soutiennent le premier choc et même le repoussent, qui cèdent au second, ou au troisième. Ensuite, appliquant cela au tableau, il dit : Praesentem injuriam, omnibus custodiam praestantibus, recens tabula facile effugiet ; ab aetate vitium non metuit ; haut ita tuta ab secutura injuria, cum post longam diem securius habetur, aut secuturo situ : et haec sunt subsidia injuriae aut vetustatis. Cependant il y a, dans cette figure, quelque chose de dur ; et tout le monde le sent. Quelle apparence, que notre auteur ait cherché ici une image de la guerre, dans un sujet purement passif ? Le savant critique s’aperçoit le premier de cette disparité : Si tamen, ajoute-t-il, id durum cuipiam videatur, possumus, scribere, CONTRA SUBSIDIA INJURIAE ET VETUSTATIS. Sic Columella, VIII. 2. Dum tamen anus sedula vel puer adhibeatur custos vagantium (gallorum, gallinarumque) ne obsidiis hominum, aut insidiosorum animalium diripiantur. Mais cette figure n’est pas plus naturelle que l’autre. On dit bien obsidia hominum, animalium, et. mais je doute qu’on puisse dire obsidia injuriae, et encore moins, vetustatis. Je suis donc pour la correction d’Hermolaüs, et je soupçonne que le glozateur ayant mis à côté contra, pour éxpliquer ce subsidio injuriae, la préposition a passé dans le texte, et parce qu’elle régit l’accusatif, le copiste a mis subsidia. Cela prouve l’antiquité des altérations dans les MSS.

(X) Ut quem pariter casus pinxerit. M. Félibien raconte le fait un peu autrement : Je vous dirai seulement qu’entre autres choses on y voyait un chien à la perfection duquel l’Art et la Fortune avoient également contribué. Car Protogene étant en colere de ne pouvoir assez bien représenter à son gré l’écume qui sort de la gueule des chiens lorsqu’ils sont fort échauffez, il jeta par dépit son pinceau contre son ouvrage ; et vit alors qu’en un moment le hasard avoit produit tout ce que son art n’avoit pû faire en beaucoup de tems. I. Si c’est le hazard, qui a produit ce que l’art n’avoit pu faire, il ne faut plus dire que l’art et la fortune y avoient également contribüé. Mais Félibien a suivi les mauvaises Edd. qui lisent, quem pariter casus et ars… Ce qui est contraire à la I. Ed. et aux MSS [qui disent : ut quem pariter casus pinxerit]. 2. Ce ne fut pas le pinceau, qui fit cette écume par accident, mais une éponge, comme on le verra dans la suite. Postremo iratus arti, quod intelligeretur, spongiam impegit inviso loco tabulae : et illa reposuit ablatos colores qualiter cura optaverat. Voyez ci-dessous, Rem. B.

(Y) Non judicabat se in eo exprimere spumam anhelantis. C’est la leçon de Venise, du MS. de Voss. et des trois autres. L’éd. du P. H. ajoute posse ; qui fait un sens ridicule : car il s’agit de ce que Protogene avoit fait, et non de ce qu’il pouvoit faire. Il ne trouvoit pas qu’il eut bien éxprimé cette écume ; mais il ne desespéroit pas encore d’y venir, et voilà pourquoi il se tourmente, il change de pinceau, il efface, il corrige, il cherche le vrai. Voyez la suite. Ce ne fut qu’à la fin que l’impatience le prit et qu’il jeta l’éponge contre l’écume.

(Z) Displicebat autem ars ipsa, nec minui poterat. Une des grandes perfections d’un tableau bien peint, au moins par rapport au coloris, c’est lorsque la vérité se montre et que l’artifice disparaît, qu’on ne voit point les traces des coups de pinceau, qu’on ne sait où ils ont commencé, ou fini, ni de quelle manière l’ouvrier est parvenu à son but. À la vérité en y regardant comme il faut, on découvre toûjours quelque chose, on admire l’art de près, et l’effet de loin. Ici, Protogène avoit trop peiné cette écume, videbatur ars nimia ; cependant il ne pouvoit pas rappeler tous ses coups, nec minui poterat ; et voilà pourquoi toute son application lui déplaisoit : displicebat autem ars ipsa. C’est le défaut qu’Apelle lui avoit reproché.

(A) postremo iratus arti, quod intelligitur. C’est la leçon de Venise. Le P. H. éxplique ces mots par cette paraphrase, quod in ea pictura nimium artis videretur. Ce n’est pas proprement cela. Pline veut dire, qu’on s’appercevoit trop clairement des coups de pinceau qu’il y avoit employez ; qu’on y voyoit les traces de l’ouvrier, au lieu de la vérité même. Or le caractere de la belle peinture est de montrer les choses, et de cacher l’artifice ; parce que si l’artifice se découvre, c’est toûjours aux dépens de la vérité pittoresque : spumaque illa pingi, non ex ore nasci : or il ne se contentoit pas du vraisemblable, il voulait absolument le vrai. Un MS. de Dalecamp porte, qua interlineretur ; mais c’est une corruption d’intelligeretur.

(B) Qualiter cura optaverat. C’est la leçon de Venise, de Rome et d’Hermolaus, fortifiée d’un vieux MS. de Dalecamp. La leçon commune est optabat. Mais une preuve qu’il faut lire optaverat, c’est que lorsque le peintre jetta de colere son éponge contre l’écume, il ne souhaittoit plus de la perfectionner, mais de la gâter. Temoin VAL. MAXIME, qui rapporte le même fait, au sujet d’un cheval, sans nommer le peintre ; Indignatione deinde accensus, spongiam omnibus imbutam coloribus forte juxta se positam apprehendit, et veluti corrupturus opus suum, tabulae illisit : quam Fortuna ad ipsas equi nares directam, desiderium pictoris coegit explere. Lib. 8 cap. II. Du reste, comme les peintres de ce temps-là ne peignoient point à l’huile, une éponge leur pouvoit être plus utile et plus commode qu’elle ne l’est aujourd’hui à nos ouvriers.

(C) Hoc exemplo ejus similis et Nealcem successus in spuma equi. C’est la leçon de la I. Venitienne. La leçon commune a supprimé ejus : mais il y doit être et par le sens et par le suffrage de divers MSS. Pintianus est pour une autre leçon : Hoc exemplum simili et Nealces successu in spuma equi, similiter spongia impacta, secutus dicitur : mais je m’en tiens au MS. de Voss. et à l’Ed. primitive. Néalce est un peintre du second rang, dont il sera parlé tout à l’heure, dans la liste alphabétique des artisans du second ordre. M. Félibien l’appelle Néaclès, si ce n’est pas une faute de l’imprimeur.

(D) Cum pingeret Poppyzonta. La I. Ed. porte, Cum pingeret Poppyzonta retinent panecum : l’Ed. de Rome, retinente pane : un des MSS. du P. H. comme l’Ed. de Venise : et les 4. de Gronovius, de même. Sur quoi ce savant critique a hazardé cette correction : Quum pingeret Poppyzonta : retinent Parii Equum. « Quod est, dit-il, personam Poppyzontos perisse, nescio quo casu ; Equum autem superesse apud Parios. » Or on ne sauroit nier que ceux de Paros, Isle de la Mer Égée, n’aient été curieux des Beaux-Arts et n’aient eû d’éxcellens ouvriers en peinture et en sculpture. Pline en fait foi : Polygnoti et Nicanoris et Arcesilai Pariorum. Il est très possible encore qu’un grand tableau, qui contient un cheval et un palefrenier qui l’amadouë, a pû être endommagé de la moitié, dans l’espace de 400 ans, qu’il faut mettre entre Néalce et notre Pline. Les tableaux de ce tems-là ne se rouloient point ; ils étoient de bois, et il se peut fort bien que, par accident, dans un tumulte, dans une guerre, un incendie, on en ait perdu la moitié. Cependant cette conjecture appuyée sur tant de MSS. et sur les premieres Edd. n’a point plû au P. H. Il se fonde sur le mot retinentem, qui est une suite naturelle de poppyzonta, parce qu’on amadouë les chevaux fougueux, qu’on veut retenir, et pour ainsi dire, apprivoiser. Xénophon y est éxprès, quoique le P. H. ne l’allègue pas ; καὶ τῳ ποππυσμῳ πραύνεσθαι, et poppysmo mansuefieri. De Venatione, fol. 947. Jul. Pollux, qu’il indique à la p. 54 au lieu de la 210 s’éxprime en ces termes, Ταῦτα ἣ ὀρχομήτρια σημεῖα ὀνομάζεται· ποππυσμῷ παριστάναι καὶ καθεστάναι, c. à. d. selon lui, poppysmi retineri, vel sisti. Frigidum est, ajoute-t-il, quod hic quidam legunt, Poppyzonta. Retinent parii equum. Les lecteurs éclairés sont maintenant à portée de choisir entre les deux lectures. Le P. H. n’allégue pour lui aucun MS : il dit bien, quelle est la lecture du Reg. 2 c. à. d. du MS. de Pline, de la Bibl. du Roi, mais il ne parle point des autres. Hermolaus est plus positif : Codices multi, dit-il ; Cum pingeret Poppyzonta, RETINENTEM EQUUM.

(E) Canem ita Protogenes monstravit. On peut lire ce passage de diverses manieres : I. comme il est dans les Edd. Canem ita Protogenes monstravit et Fortuna : mais cette lecture ne me paroit pas correcte. Car si fortuna est au nominatif, en voilà deux, la Fortune et Protogene, qui ne s’accordent point avec monstravit : à moins que l’un et l’autre n’aient produit un chien séparément ; ce qui est contre la vérité de l’Histoire ; par conséquent, il auroit falu dire, Cane mita monstrarunt Protogenes et Fortuna. Si Fortuna est à l’ablatif, il y a dans cette façon de parler une équivoque désagréable, qui n’est point ordinaire à notre auteur. 2. On pourroit lire, avec un MS. de Dalecamp, Canem ita Protogeni monstravit et Fortuna : parce que ce fut le hazard, qui donna la vérité à cette écume, que l’art n’avoit pu lui procurer ; et dont Protogene fut le premier spectateur. 3. Gronovius supprime Canem, d’après ses MSS : et lit de cette maniere : Ita Protogenes monstravit et fortunam. C’est à dire, que si les autres peintres étalerent avec soin les prodiges de leur art, Protogene fit encore plus, il montra dans ses tableaux, outre l’habileté de son pinceau, le jeu du hazard et de la fortune. 4. Enfin, on pourroit lire aussi, Cane mita Protogenes monstravit et Fortunam, ce qui revient au même sens. Je suis pour la correction de Gronovius.

Dans :Protogène, L’Ialysos (la bave du chien faite par hasard)(Lien)

, p. 79

Protogene étoit contemporain de cet Aristide et d’Apelle même, comme nous l’avons dit plus d’une fois, et par conséquent c’est ici le lieu d’en parler. Il étoit de Caune, dans la Perée, dépendante alors de la République des Rhodiens. La grande pauvreté, où il vécut d’abord, et l’éxtrême application, avec laquelle il peignoit, ne lui permirent pas de s’égayer l’esprit, ni de le rendre fertile, et c’est pourquoi aussi on n’a de lui qu’un petit nombre d’ouvrages. On ne sçait point qui a été son maître, ni même s’il en a jamais eû. D’autres assurent que, jusqu’à l’âge de cinquante ans, il ne fit autre chose que peindre sur des navires, qu’on faisoit dès-lors éxtrêmement rians ; et ils en allèguent, pour raison, qu’ayant été employé depuis à Athenes, pour les peintures du vestibule de Minerve, dans la plus belle place de la ville, et où il peignit en effet le fameux Parale, et L’Hammoniade, autrement appelé le Nausicaa, navires sacrez de la République, il y ajouta en forme de bordures, ou d’ornemens, de petites barques, ou galiottes communes, avec leurs agrès, pour apprendre à tout le monde, de quels commencemens il étoit monté jusqu’au fort et au brillant de la peinture. Car qui eut jamais dit autrement, qu’un simple barbouilleur de galeres, étoit parvenu enfin à peindre le portique du Temple de Minerve, et à mériter, par les miracles de son pinceau, les applaudissements perpétuels du plus savant peuple du monde ?

Dans :Protogène, Satyre et parergia(Lien)

, p. 83-84; 280

Quoi qu’il en soit, cette situation éxtraordinaire, où se trouvoit Protogène, a fait dire de lui, au sujet d’un tableau qu’il avoit alors sur le chevalet, qu’il l’avoit peint sous l’épée, c’est-à-dire, au milieu des traits et des armes. Ce tableau est un Satyre, nommé communément l’Anapauomène[[3:[1] Qui se repose, ou qui se délasse. Strabon s’arrête particulièrement à la description de cette peinture. Strabon s’arrête particulièrement à la description de cette peinture. Il dit que le Satyre étoit appuyé contre une colonne, sur laquelle il avoit peint une perdrix si ressemblante, que la plupart des gens laissoient là le Satyre, quoique parfait en son genre, pour n’admirer que l’oiseau : ajoutez que de véritables perdrix y venoient voltiger tout autour, en piolant à leur manière. Ce qui ne plaisant point à Protogène, il obtint des Rhodiens la permission de l’effacer. Voy. Strab. liv. XIV p. 652.]] parce qu’il est assis et appuyé contre un arbre, et afin qu’il ne manquât rien à l’esprit de tranquillité, où il se trouvoit alors, au milieu même de l’ennemi, il tient la flute à la main, comme un berger qui se délasse, au pié d’un vieux chesne, à chanter les faveurs de sa maitresse, ou les douceurs de la vie rustique.

Notes au texte latin, p. 280 :

(I) Satyrus hic est. Le tableau d’Ialyse étoit donc fini et consacré, lorsque Démétrius assiégea la ville de Rhodes, puisque le tableau, que Protogene avoit alors sur le chevalet, étoit un Satyre ; Sequiturque tabulam illius temporis haec fama, quod eam Protogenes sub gladio pinxerit. Ecoutons Strabon : Après le Colosse de Rhodes, qui est aujourd’hui abbatu, il n’y a rien de plus beau, dans cette ville, que deux tableaux de Protogene : savoir son Ialyse, et son Satyre, qui est appuyé sur une colonne. Autrefois il y avoit une perdrix qui étoit perchée sur la colonne : mais parce que les gens du lieu ayant vu le tableau nouvellement éxposé, donnoient toute leur attention à la perdrix et ne disoient rien du satyre, qui étoit admirable, et qu’il arriva même que des gens qui apprivoisoient de ces sortes d’oiseaux, ne faisoient que détourner l’admiration, qui étoit duë à la figure, pour la donner toute entiere à la perdrix, parce qu’elle en attiroit de vivantes autour d’elle et les faisoit pioler, comme à leur semblable ; le peintre, indigné de ce mauvais goût, demanda permission aux directeurs du Temple où le tableau étoit consacré, de retoucher à son ouvrage ; ce qui lui ayant été accordé, il effaça la perdrix. Geogr. Lib. 14. p. 652. Felibien dit que c’étoit une caille, mais le texte grec ne parle que d’une perdrix : ἐπὶ δὲ τῳδ’ σύλῳ πέρδιξ ἐφεισήκει.

(K) Et, ne quid desit temporis ejus securitati, tibias tenens. La leçon de Venise, et les MSS. du P. H. lisent, tenentem tibias : mais, avec tout cela, je suis pour l’Ed. de Rome, tibias tenens, parce qu’autrement la construction n’y est pas. Satyrus hic est, quem Anapauomenon vocant, et, ne quid desit temporis ejus securitati, tibias tenens : cela coule, parce que quem Anapauomenon vocant, est une parenthèse, ce tableau, dit-il, est un satyre, nommé l’Anapauomene, et afin qu’il ne manquât rien à la tranquilité où le peintre se trouvoit alors, il a la flute à la main, ou à la bouche : mais si vous lisez tenentem tibias, ce n’est qu’une suite de son nom, et non pas la reflexion de l’auteur : or une preuve que c’est la reflexion de l’auteur, c’est qu’il ajoute, après avoir indiqué le nom grec de cette pièce, et ne quid desit temporis ejus securitati, tibias tenens, scil. Satyrus. Car cet et se trouve dans un MS. de Dalecamp, et dans la I. Venitienne, quoi qu’il ne paroisse pas dans les Edd. de Gelenius et du P. H. Ce qui a trompé les copistes, est ce vocant, qui est de la parenthèse, et non pas de la suite.

Dans :Protogène, Satyre et parergia(Lien)

p. 120 : Mais une chose, qu’il ne faut pas oublier, à propos de ces grands maîtres, parce qu’elle est mémorable et digne de la postérité, c’est que leurs derniers ouvrages, ceux mêmes qu’ils ont laissés imparfaits, la mort ne leur ayant pas permis de les achever, comme l’Iris d’un Aristide, les TYNDARIDES[[3:Castor et Pollux, avec les 3 enfans de Leda.]] d’un Nicomaque, la MÉDÉE[[3:Voyez ci-dessous dans l’art. de Timomaque, sect. XXIX. N. 9. Nouvelle preuve, comme on voit, de l’antiquité de ce peintre, antérieur à Apelle, mais postérieur à Aristide. Voyez les remarques.]] d’un Timomachus, et cette VENUS Anadyomène[[3:Voyez ci-dessus l’art. d’Apelle, sect. XXIX. N. 12. Ciceron dit, qu’il ne se trouva aucun peintre, qui se sentit capable de la finir ; et la raison qu’il en donne est fort naturelle, c’est que la beauté du visage et du reste, ôtoit aux plus habiles l’espérance d’y atteindre. Ils ne vouloient pas servir de mouche à leur original. Voyez ses Offices, liv. III c. 2.]] du grand Apelle, excitent en nous plus d’admiration que leurs autres pièces les plus finies. La raison en est que, les linéaments en étant bien déterminés, quoiqu’ils ne soient pas tous remplis, on y voit toutes les pensées de ces heureux génies. Notre esprit se plaît à leur prêter idéalement du corps et de la couleur ; on juge de ce qui manque par ce qui reste ; on regrette la main savante, qui a succombé, dans le temps qu’elle était en train de créer de si belles choses ; en un mot, c’est la douleur même qu’on a de leur perte, qui donne de nouveaux charmes à ces derniers monuments de leur pinceau.

Notes au texte latin, p. 301 :

(F) Quum id agerent. La I. Ed. porte seulement, atque in lenocinio commendationis dolor est manus, cum id ageret, extinctae ! La 2. Ed. rétablit la lecture : manus, cum id agerent, exinctae desiderantur. Un MS. de Dal. Manus, cum id agerent, extinctae sunt ! Ecoutons Félibien sur la mort de Raphaël, T. I. p. 207 « Son corps ayant été éxposé dans la sale où il travailloit pendant sa vie, l’on mit tout proche ce beau tableau de la TRANSFIGURATION, qu’il avoit achevé nouvellement ; et comme l’on vit cet illustre mort auprès de ses figures, qui toutes paroissoient vivantes, il n’y eut personne qui n’eut le cœur rempli de tristesse, à la vuë de ce spectacle, où l’on connoissoit encore plus par l’éxcellence de ces peintures, quelle perte l’on faisoit dans la mort de ce savant homme. »

Dans :Tableaux inachevés(Lien)

, p. 301

[[6: note au texte latin]] (D) Theon, Orestis insaniam. L’un des plus grands peintres de l’Antiquité, au rapport de Quintilien, lib. 12 c. 10. Concipiendis uisionibus quas fantasias uocant, Theon Samius est praestantissimus. […] Elien nous a conservé la description d’un autre tableau de ce même ouvrier, qui mérite d’être rapportée. C’est un homme armé de pié en cap, qui accourt subitement à une irruption de l’ennemi. Il semble qu’il vole au combat, qu’il est en fureur, que les yeux lui sortent de la tête ; déjà il présente le bouclier, il allonge l’épée, il lève le bras pour frapper, et vous diriez qu’il est sur le point de tout tuer et de n’épargner personne. Cependant on ne voit point d’autre figure dans le tableau, ni fantassins, ni cavaliers, ni capitaine, ni ordre de bataille ; un seul homme armé en fait tout le sujet. Voici de quelle maniere il fit valoir son ouvrage : avant que de l’éxposer, selon la coutume de ce tems-là, il fit sonner le tocsin à un trompette, qu’il avoit loûé exprès, et après avoir rempli l’imagination des spectateurs des dangers et des allarmes d’une irruption soudaine, il tira le rideau et montra sa pièce, au grand étonnement de l’assemblée, qui en conçut beaucoup mieux les beautez. Hist. Div. l. 2 c. 44.

Dans :Théon de Samos, l’Hoplite(Lien)

, p. 59-60; 252-253

Pour ce qui est de Timanthe, dont il faut dire aussi quelque chose, on ne saurait nier qu’il n’ait eû un génie éxcellent pour la peinture. C’est de lui qu’on a, entr’autres, cette belle IPHIGÉNIE, qui a été célébrée par les louanges de tant d’orateurs. Aussi faut-il avouër que c’est un chef-d’œuvre. Le tableau la represente se tenant debout, devant l’autel, telle qu’une jeune et innocente Princesse, qui va être immolée au salut de sa patrie, et environnée de tous ses parens, tristes et abattus du spectacle, mais particulièrement son oncle. On cherche le visage du pere ; mais le peintre n’ayant plus de traits pour éxprimer une si grande douleur, lui a mis un voile sur les yeux, comme pour recevoir ses larmes, et cacher au spectateur l’émotion paternelle, qu’il ne se sent pas cappable de bien rendre, au moins telle qu’elle doit être, en une telle conjoncture[[3:Poètes, orateurs, historiens, tous ont imité depuis cette artifice ; Les prédicateurs s’en sont mêlez ; et le voile de Timanthe a servi à nous cacher la tristesse d’Abraham.]]. On a encore de lui d’autres pièces, où brille le bon sens, et où paroissent les ressources ordinaires d’un génie heureux et fécond : comme ce CYLOPE dormant, par éxemple, en un tableau de petit volume, où de peur qu’on ne se trompe à la grandeur pittoresque qu’il lui donne, il a peint tout autour de très petits satyres, qui lui mesurent le pouce avec leurs thyrses : de sorte que par la petitesse des uns, on juge aisément de la puissance et des dimensions de l’autre. Enfin, dans tous ses ouvrages, il est le seul qui fasse voir plus d’intelligence que de travail, et qui laisse plus à penser qu’il ne dit ; et quoiqu’il y ait beaucoup d’adresse et de légèreté dans son pinceau, il y a infiniment plus de génie que d’adresse, et plus d’invention d’esprit que d’habileté de main.

Notes au texte latin, p. 252-253 :

(H) Ejus enim est Iphigenia. C’est ce tableau célèbre, dont tant de grands hommes ont fait l’éloge, comme Ciceron, Quintilien, Valere Maxime et plusieurs autres, dont on peut lire les passages dans Junius. Il suffit de remarquer ici, par rapport à l’article de l’invention, que le sujet étoit beau, grand, tendre et tout à fait propre à la peinture, mais qu’outre cela, il fut très bien disposé et éxécuté. Plusieurs l’ont imité depuis.

(I) Cum moestos oppinxisset omnes. C’est la leçon de la I. Venitienne, que je me fais scrupule de changer : car quoique nous ne trouvions pas des éxemples de ce mot, oppingere, dans les anciens auteurs, cela n’empêche pas qu’il n’ait pû être employé, comme tant d’autres, qui ne se trouvent que rarement, ou qu’une seule fois dans leurs ouvrages. On dit fort bien adpingere, expingere, depingere ; il y a même des auteurs qui ont dit repingere, subpingere, superpingere : pourquoi n’auroit on pas dit aussi obpingere ? Surtout lorsque la disposition du sujet semble le demander, cum moestos obpinxisset omnes : car on peut rapporter cet ob à la situation des personnages, qui environnoient Iphigenie, qui avoient les yeux sur elle et qui étoient pénétrez de son sort ; Cum calchanta tristem, moestum Ulyxen, clamantem Ajacem, lamentantem Menelaum circa aram statuisset ; voilà le moestos obpinxisset omnes : ceux qui ont fait reflexion sur la brièveté et sur la force du stile de Pline, goûteront peut-être cette remarque.

(K) Patris ipsius vultum velavit. Voilà un des traits de l’invention de Timanthe. Il avoit épuisé toutes les images d’une grande tristesse, avant que de venir au pere ; et c’étoit là où il falloit se surmonter. Hûreusement la nature vint au secours de l’art ; car il n’est pas naturel à un père de voir égorger sa fille ; il est naturel de la pleurer, lorsque les dieux la lui demandent ; voilà donc la tendresse et et la bienséance qui viennent au secours du peintre et qui le dispensent de répéter une passion déjà épuisée, et inéxprimable par rapport à un pere, quem digne non poterat ostendere ; ou, selon Montagne, comme si nulle contenance ne pouvoit rapporter ce degré de deuil. Il faut pourtant convenir de bonne foi que Timanthe n’est point l’auteur de cette idée, toute fondée qu’elle est dans la nature et dans la bienséance. La poësie l’avait déjà employée : voyez l’Iphigénie d’Euripide, vers la fin :

Ὡς δ’ἐσεῖδεν Ἀγαμέμνον ἄναξ

Ἐπὶ σφαγὰς σείχωσαν εἰς ἄλσος κόρην,

Ἀνεσέναξε· κἄμπαλιν σρέψας κάρα,

Δάκρυα προῆγειν, ὀμμάτων πέπλον προθείς.

C. à d. que lorsqu’Agamemnon vit la jeune fille qu’on menoit dans le bois, pour y être sacrifiée, il gémit, et détournant la tête, versa des larmes, et se couvrit les yeux de sa robbe. Voilà donc la poësie qui fournit des traits à sa rivale, et celle-ci qui encherit sur les beautez de sa sœur. Les tableaux d’histoire en ont aussi profité : C’est un chef-d’œuvre du Poussin que de nous avoir fait reconnoitre Agrippine dans son tableau de La mort de Germanicus avec autant d’esprit qu’il l’a fait. Après avoir traité les différens genres d’affliction des autres personnages, comme des passions, qui pouvoient s’éxprimer, il place à côté du lict de Germanicus une femme noble par sa taille et par ses vétements, qui se cache le visage avec les mains, et dont l’attitude entière marque encore la douleur la plus profonde. On conçoit sans peine que l’affliction de ce personnage doit dépasser celle des autres, puisque ce grand maître desespérant de la représenter, s’est tiré d’affaire par un trait d’esprit…. Si le Poussin n’en est pas l’inventeur ; s’il l’a emprunté du grec, qui peignit Agamemnon la tête voilée, au Sacrifice d’Iphigenie sa fille ; ce trait est toûjours un chef-d’œuvre de la peinture. Mais est-il permis à un peintre d’employer des traits célébres, dont un autre peintre s’est déjà servi ? Non, lorsque les ouvrages de ce peintre subsistent encore. Mais le tableau du peintre grec ne subsistoit plus quand le peintre françois fit le sien ; et il auroit été blâme d’avoir volé ce trait, s’il se fut trouvé dans un tableau de Raphaël, ou du Carache. C’est le raisonnement du savant auteur des Refl. sur la poës. et sur la peinture, tom. I p. 78 et suiv. tom. 2 p. 78. Voyez aussi Félib. Tome. 3 p. 146. Cette dernière reflexion justifie M. Coypel, de n’avoir pas suivi Timanthe, ni dans sa Suzanne, ni dans son Jephté : on voit dans le premier de ces tableaux le père et la mère de Suzanne à face découverte, mais l’une dans une douleur et l’autre dans un desespoir, qui feront l’admiration perpétuelle des connoisseurs. Je dirois presque, si je l’osois, qu’il a surpassé le peintre grec : car il a surmonté les difficultez de l’art et attaqué le sublime de la peinture dans son fort. À l’égard de Jepthé, qui revient plus au sujet d’Agamemnon et d’Iphigénie, je ne trouve pas que l’éxpression du père en soit si hûreuse, quoiqu’elle soit admirable. Je ne dis rien de son Abraham, qui pleure sur le visage de son fils avant que de l’immoler ; cette idée ne me paroit point digne de la foi, ne de la fermeté de cet illustre patriarche.

Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)

, p. 107-108

C’est lui[[5:Timomaque.]] qui a fait ces deux grands tableaux, qui coûtèrent à Jules César lxxx talens[[3:4800 ecus d’Angl. 1200 Liv. Sterl.]], et qui, après avoir brillé longtemps à Cyzique, comme une des merveilles de cette ville, ont été enfin transportez à Rome, achetez par le dictateur et consacrez par lui dans le temple de Venus la Génitrice. L’un est une MÉDÉE, qui tuë ses propres enfans, et qui ne peut retenir ses larmes, dans le tems même qu’elle est portée à cet excès par la plus violente de toutes les passions. Les poëtes grecs et latins ont célébré, à l’envi, cette pièce, aussi bien que la seconde, qui est un AJAX, devenu furieux du jugement des Grecs, qui lui ont refusé les armes d’Achille. [[2:Ce que c’est que le talent attique]] Le lecteur se souviendra, par rapport à ces deux pièces, que le talent attique, selon le calcul de Varron, se monte justement à VI.M.[[3:6000 den. Rom. Justement 3000 Shel. Ou 600 ecus d’Angl. Le lecteur se souviendra que je suis ici, et partout, le calcul de M. Cappel.]] deniers romains, qui étant multipliez par quatre-vingt, font, comme on voit, une somme prodigieuse, pour deux tableaux.

Notes au texte latin, p. 296 :

(K) Caesaris Dictatoris Ajacem et Medeam pinxit. C’est la leçon que nous avons établie ci-dessus, p. 180, rem. F. Et qu’on ne dise point, pour la renverser, que le peintre qui précède, savoir Métrodore, vivoit du tems de Paul-Emile, pere du second des Africains, et qu’ainsi il n’y a point d’apparence, que Timomaque, qui vient après, doive être placé beaucoup plus haut, savoir à la 107. Olymp. Si cette raison étoit bonne, elle prouveroit aussi pour Aristolaus, qui vient après Timomaque, et qu’il faut nécessairement ranger un peu après son pere, le fameux Pausias, qui a brillé à Sicyone dès la 100. Olymp. comme Pline l’assure, en parlant de Glycere, dans le Liv. 21 §3.

Dans :Timomaque, Ajax et Médée(Lien)

, p. 301

(E) Medeam Timomachi. Vous voyez que Timomaque est rangé ici entre les peintres les plus anciens, Aristide, Nicomaque, Apelle : il n’y a donc point d’apparence qu’il fut contemporain de J. César. Vous voyez encore, qu’il n’acheva pas sa Médée, parce que la mort le surprit : et vous avez vû ci-dessus, que cette même pièce étoit une des antiques des Cizycenes, dans le tems que Ciceron plaidoit contre Verrès : tout cela s’accorde à rétablir le texte de notre Pline, comme je l’ai fait.

Dans :Timomaque, Ajax et Médée(Lien)

, p. 51-52

On parle encore d’un Athlète de sa façon, dont il fut si content, qu’il ne pouvoit s’empêcher de l’admirer et de s’en applaudir comme d’un chef-d’œuvre inimitable. Car il écrivit au bas du tableau un vers grec, qui a passé en proverbe, et dont le sens revient à ceci :

À l’aspect du Lutteur, dans lequel je m’admire,

En vain tous mes rivaux voudront se tourmenter:

Ils pourront peut-être en médire,

Sans pouvoir jamais l’imiter.

Notes au texte latin, p. 239 :

(C) Invisurum aliquem facilius quam imitaturum. J’ai déjà dit que Plutarque attribuë ceci à Apollodore ; j’ajouterai ici que l’original renferme un jeu de mots assez difficile à rendre dans une traduction.

Μωμήσεταίτιςμᾶλλονἢμιμήσεται.

Facilius haec culpabit quis, quam imitabitur.

La traduction de Pline n’est pas si exacte, invisurum aliquem facilius quam imitaturum : car il ne s’agit pas tant de porter envie à l’ouvrage, que de le critiquer, quoi que l’un conduise ordinairement à l’autre. La version d’Amiot est burlesque :

On l’ira plustôt regrattant,

Que l’on ne l’ira imitant.

Le jeu de mots n’y est pas encore ; le voici, si je ne me trompe :

Peut-être, à coups de langue, on pourra l’opprimer ;

Mais à coups de pinceau qui pourra l’éxprimer ?

Carlo Dati l’a rendu en italien en un seul vers, mais ce n’est qu’une simple traduction, sans jeu de mots :

Altr’anzi biasmerà, che imitera.

Ma questo verso, dit-il, è molto difficile a tradursi col medesimo spirito, che ha nel Greco idioma per la simiglianza de’due verbi significanti biasimare, e imitare. Vita di Zeusi, p. 23. Quoi qu’il en soit, le vieux Ronsard a imité cette pensée dans sa Franciade.

Un lit ce livre pour apprendre ;

L’autre le lit comme envieux :

Il est facile de reprendre,

Difficile de faire mieux.

Dans :Zeuxis, l’Athlète(Lien)

, p. 53; 242

Zeuxis avait fait une piéce, où il avoit si bien peint des raisins, que, dès qu’elle fut éxposée, les oiseaux s’en approcherent pour en becqueter le fruit. Sur quoi, transporté de joye et tout fier du suffrage de ces petits juges, il demanda à Parrhase, qu’il fit paroître incessamment ce qu’il avoit à leur opposer. Parrhase obéït, et produisit sa pièce, couverte, comme il sembloit, d’une étoffe délicate, en maniere de rideau. Tirez ce rideau, ajouta Zeuxis, que nous voyions ce beau chef-d’œuvre. À cette parole Parrhase se mit à rire, et fit toucher au doigt aux spectateurs et à Zeuxis lui-même, que le rideau qu’ils voyoient n’avait rien de réel que l’apparence. Je suis vaincu[[3:Candeur rare parmi les hommes du plus grand mérite. Il y en a qui donneroient plustôt leur argent, que de le ceder aux autres en habileté.]], dit aussitôt ce dernier, en reconnaissant son erreur avec cette ingenuité, qui lui était naturelle, et qui est indispensable en pareil cas, je suis vaincu, et je confesse ingénument que Parrhase est plus habile que moi : car je n’ai trompé que des oiseaux ; au lieu que pour lui, il m’a trompé moi-même, qui suis peintre !

[[2:Son ingenuité à l’égard de ses propres ouvrages]] On voit par là que Zeuxis étoit de bonne foi, dans ces sortes de combats ; mais c’est ce qui parut encore dans la suite, lorsqu’ayant peint un Jeune Garçon, qui portoit sous le bras un panier de raisins ; car apparemment il triomphoit sur ce fruit ; et s’appercevant une seconde fois que des oiseaux s’approchoient pour en goûter, loin de se réjouïr d’un incident, qui auroit fiat éxtasier un peintre médiocre, il se dépita encore contre son ouvrage ; et, avec la même ingenuité qu’auparavant, voici comme il en raisonna devant tout le monde : Si les raisins ne sont pas mal, puisque des oiseaux y ont été trompez, il faut convenir que le jeune homme, qui les porte, n’est gueres bien, puisqu’ils n’en ont point été effrayez ! Si j’avois fini la figure aussi bien que j’ai fini le panier, ces petits animaux n’auroient jamais été si hardis.

Note au texte latin, p. 242 :

(L) Descendisse hic in certamen cum Zeuxide traditur. Ce certamen est encore une gageûre dans Félibien, mais non pas dans Adriani ; con cui (Parrasio dico) si dice Zeusi havere combattuto nel arte. On peut se battre pour la gloire, à coups de pinceaux, sans faire de gageure. Du reste, rien de plus utile que l’émulation, pour faire des progrès dans quel art et dans quelle science que ce soit. C’est la raison de Quintilien en faveur des écoles publiques ; surtout lorsqu’elles sont bien instituées. Écoutons-le sur ce sujet : « Il est certain qu’un enfant ne peut apprendre chez lui, que ce qu’on lui enseigne, et qu’aux écoles il apprend encore ce qu’on enseigne aux autres. Il verra tous les jours son maître approuver une chose, corriger l’ature, blasmer la paresse de celui-ci, louer la diligence de celui-là. Tout lui servira, l’amour de la gloire lui donnera de l’émulation, il aura honte de le céder à ses égaux, il voudra même surpasser les plus avancez. Voilà ce qui donne de l’ardeur à de jeunes esprits, et quoique l’ambition soit un vice, bien souvent pourtant elle produit la vertu. Je me souviens d’une coutume que mes maîtres observoient dans mon enfance avec succès. Ils nous partageoient en différentes classes, qu’ils régloient eux-mêmes selon nos forces : ainsi chacun disputoit dans sa place, qui étoit plus élevée, à mesure qu’il surpassoit les autres et qu’il avoit fait plus de progrès. Cela s’éxaminoit fort sérieusement, et c’étoit à qui emporteroit l’avantage. Mais d’être le premier de la classe et à la tête des autres, c’étoit, sur tout, ce qui faisoit l’object de notre ambition. Au reste, ce n’étoit point une affaire décidée sans retour : à la fin du mois, celui qui avoit été vaincu, pouvoit prendre sa revanche et renouveller la dispute, qui n’en devenoit que plus échauffée ; car l’un, dans l’attente d’un nouveau combat, n’oublioit rien pour conserver son avantage ; et l’autre trouvoit, dans sa honte et dans sa douleur, des forces pour se relever avec éclat. Je sçai bien que cela nous donnoit plus de courage et d’envie d’apprendre, que tout ce qu’auroient pû faire et nos maîtres et nos précepteurs et tous nos parens ensemble. » De l’instit. De l’Orat. Liv. I. ch. 3.

(M) Uvas pictas tanto successu, ut in scaenam aves devolarent. C’est la leçon de la I. Venitienne. La leçon commune porte, advolarent. Je suis pour la précédente, parce que devolare exprime mieux l’action des oiseaux, qui venoient fondre sur la scene de haut en bas, in scaenam. À l’égard de la chose même, voyez ce qu’on a dit ci-dessus, p. 177 rem. Y. Il semble que les oiseaux de Zeuxis ont donné lieu à cette épigramme de l’Anthologie, que Grotius a traduit de cette maniere :

Vix est ab uvis ut abstineam manum,

Ita me colorum forma deceptum trahit.

Quoi qu’il en soit, nos modernes se sont partagez sur ces sortes d’histoires. M. Félibien fait dire à son Pymandre, qu’apparemment les oiseaux de ce tems-là avaient les sens beaucoup moins subtils que ceux d’à présent, ou bien ceux d’aujourd’hui ont plus de discernement que ceux d’autrefois, puisque nous ne voyons pas qu’ils s’arrêtent non seulement à des fruits peints sur une toile, ni même à ceux qui sont de relief, et qui ont la forme et la couleur des fruits naturels. Cependant il ajoute ce correctif ; qu’il n’est gueres possible de donner son jugement sur des ouvrages que nous n’avons plus. M. Perrault va plus loin ; il prétend conclurre de là que les Anciens ne savoient pas peindre. « Pour vous convaincre, dit son Abbé, du peu de beauté des peintures antiques, et de combien elles doivent être mises au dessous de celles de Raphaël, du Titien et de Paul Veronese et de celles qui se font aujourd’hui, je ne veux me servir que des louanges mêmes qu’on leur a données. On dit que Zeuxis représenta si naïvement des raisins que des oiseaux les vinrent becqueter : quelle grande merveille y a-t-il à cela ? Une infinité d’oiseaux se sont tuez contre le Ciel de la perspective de Ruël, en voulant passer outre sans qu’on en ait été surpris, et cela même n’est pas beaucoup entré dans la louange de cette perspective. » J’avouë que je ne sens pas la force de ce raisonnement. Zeuxis a si bien peint des raisins, que des oiseaux y ont été trompez : donc sa peinture était médiocre ; Ruël a fait une perspective, où une infinité d’oiseaux se sont tuez par erreur ; donc cette perspective n’est pas éxcellente. Si notre Pline avait rapporté l’aventure des oiseaux, comme la preuve du vrai sublime dans la peinture, il y auroit quelque chose à dire : mais il se contente de narrer le fait sans aucune reflexion, et il fera voir dans la suite en quoi consiste la dignité de l’art. M. Perrault continuë son raisonnement par un fait qui renverse sa remarque : « On avoit mis secher dans la cour de M. le Brun, dont la porte était ouverte, un tableau nouvellement peint, où il y avoit sur le devant un grand chardon parfaitement bien représenté. Une bonne femme vint à passer avec son asne, lequel ayant vu le chardon, entre brusquement dans la cour, renverse la femme qui tachoit de le retenir par son licou, et sans deux forts garçons qui lui donnerent chacun quinze ou vingt coups de bâton pour le faire retirer, il auroit mangé le chardon, je dis mangé, parce qu’étant nouvellement fait, il auroit emporté toute la peinture avec sa langue. » Voilà un échantillon de cette belle logique de M. Perrault contre le mérite des Anciens. M. Le Brun, selon lui, étoit le plus grand peintre qui ait jamais été, et la Famille d’Alexandre est le chef-d’oeuvre de la peinture: cependant il a fait un chardon qui a trompé un asne ; s’ensuit-il qu’il ait été un peintre médiocre ? Point du tout : donc les raisins de Zeuxis, qui ont trompé des oiseaux, et non pas des asnes, ne prouvent point que Zeuxis ait été un peintre subalterne. Il faloit juger de Zeuxis par ce qui précède, par sa Pénélope, où il avait si bien représenté les mœurs, par son Jupiter qui était magnifique, et par son Hercule, où les éxpressions étoient si hûreuses et si vives. Enfin il ajoute que de semblables tromperies se font tous les jours par des ouvrages dont on ne fait aucune estime : que cent fois des cuisiniers ont mis la main sur des perdrix et sur des chappons naïvement représentez pour les mettre à la broche ; qu’on s’est contenté d’en rire ; mais que le tableau est demeuré à la cuisine. Je le veux, parce que la scene étoit à la cuisine, lieu obscur ; mais à l’égard de Zeuxis, ce fut tout autre chose. Il étoit question d’exprimer le beau fruit, et de le produire sur la scène, dans un combat de génie et de pinceau, en présence des experts.

(O) Quoniam ipse avec fefellisset, Parrhasius autem se artificem. C’est la leçon de l’éd. de Venise, de celle de Rome et d’un MS. de Dalecamp. La leçon commune porte volucres. Je n’en tire d’autre conséquence, sinon que les copistes se sont donné souvent de telles libertez. À l’égard de la chose même, on doit faire quelque attention à ce petit mot, Parrhasius autem se artificem. S’il y a quelque mérite dans la peinture, à tromper un asne, des oiseaux, des enfants, il y a bien plus de mérite à tromper les maîtres et les connoisseurs : il est vrai que ces sortes d’illusions tombent presque toûjours sur de petits sujets, des raisins qui sont becquetez ; un rideau que l’on suppose couvrir la peinture ; un chardon un peu éloigné, une servante, comme celle de Rembrandt au 1. ou au 2. étage ; des perdrix, ou des chappons dans une cuisine, des bas-reliefs sur un mur, qui attraperent plus d’une fois Carlo Dati, et choses semblables. D’oû vient que l’illusion ne tombe pas sur de grands sujets ? C’est qu’il y a très peu de peintres qui colorient bien ; c’est que les tableaux sont bordez de cadres, qui découvrent l’art, et ne se présentent pas toujours dans le point qu’il faut. Il y a ici un Allemand, qui ne fait que des portraits, mais qui à force de tems et de travail, donne la vérité même : il a fait le portrait de sa mere d’une manière si achevée, qu’il n’y a point d’œil au monde qui n’y fut trompé, s’il étoit sur une planche rognée. On a beau le regarder de prés, c’est toûjours la même chose ; c’est de la chair, ce sont des cheveux blancs, on les compte à l’infini, ce sont des yeux réels ; il faut toucher tout, pour se détromper ; on y voit le poil folet dans toute sa finesse et dans toutes les diverses teintes du visage, avec la dégradation des lumieres la plus insensible qui se puisse imaginer ; je crois que c’est l’ouvrage de plus d’une année. J’ai vû peindre cet homme pendant 3 heures de suïte, il travaille fort lentement, regarde ses gens de fort près et les fait asseoir jusqu’à 50 fois davantage, selon le prix qu’on y veut mettre. Mais aussi, il faut avouër que la ressemblance est entiere. Il a eû d’une seule maison jusqu’à 700 guinées, pour 5 ou 6 portraits ; Si Zeuxis colorioit comme cet homme-là, il avoit un talent rare.

(P) Ad quas cum advolarent aves. C’est la leçon de la I. Ven. et de la I. Romaine. Ici je laisse advolarent, à cause du ad quas. Mais je crois que plus haut il faut devolarent à cause d’in scenam.

(Q) Eadem ingenuitate processit iratus operi et dixit. C’est la leçon de tous les MSS. Et de toutes les edd. Pintianus voudroit qu’on supprimât processit et la conj. et, et qu’on lût ainsi : eadem ingenuitate iratus operi dixit : mais cela n’est pas nécessaire. Pline veut dire, qu’il fit paroître la même sincérité devant tout le monde, et qu’il procéda contre son propre tableau avec franchise.

(R) Nam si et hunc consummassem. C’est la leçon d’un MS. de Dalecamp. Les autres portent, nam si et hoc consummassem, ce qui me paroît rude à une oreille latine : uvas melius pinxi quam puerum, nam si et hoc, etc. Je doute fort que Pline ait parlé ainsi.

Dans :Zeuxis et Parrhasios : les raisins et le rideau(Lien)

, p. 53; 241-244

Quoique d’ailleurs il[[5:Zeuxis.]] fut si sévère sur les mesures et sur la beauté de chaque partie, qu’ayant à travailler à une Hélène, destinée au temple de Junon de Lacinie, par les Agragantins, il se fit amener l’élite de leurs jeunes filles, et après les avoir considerées à la manière de ce tems-là, il en choisit cinq des plus belles, pour copier ce qu’elles avoient d’éxcellent et en composer ensuite un original accompli. [[1:D’autres disent que ce fut à Crotone, et rapportent cette histoire d’une maniere plus circonstanciée. Quoi qu’il en soit, en voilà l’essentiel : il croyoit qu’il faloit consulter la Nature, et aller la perfection par le choix des plus belles choses, qu’Elle nous présente]].

Note au texte latin, p. 241

(H). Ut Agragantis facturus tabulam, quam in templo Junonis Laciniae publice dicarent. Voici un éxemple du peu d’éxactitude des anciens auteurs. Denys d’Halicarnasse dit simplement, que le peintre Zeuxis travaillant à une Helene sans drapperie, ceux de Crotone, qui estimoient beaucoup son pinceau, lui envoyerent les plus belles filles qu’ils purent trouver chez eux, afin que les ayant bien considérées, il fit passer dans son tableau les traits qui l’auroient le plus frappé : et en effet, ayant rassemblé ce qu’il trouva en elles de plus avantageux, il en composa dans sa tête une beauté accomplie. Ciceron raconte la chose plus en détail : « Dans le tems que ceux de Crotone, dit-il, étoient dans l’opulence et qu’ils passoient pour le peuple de l’Italie le plus heûreux, ils formerent le dessein d’enrichir de belles peintures le temple de Junon Lacinienne, qui est au dessous de leur ville, et pour lequel ils ont toûjours eû beaucoup de dévotion. Ils firent donc venir à grands fraix le peintre Zeuxis, qui avoit alors la réputation de primer entre tous ceux de son art. C’est le même qui a fait plusieurs tableaux, qui ont été conservez dans ce temple jusqu’à présent, par le grand respect qu’on a gardé pour ce sainct lieu. Il leur dit donc, que pour leur laisser le modelle d’une beauté éxcellente à tous égards, il avoit dessein de faire pour eux une Helene. Ceux-ci, qui n’ignoroient pas qu’il triomphoit principalement sur les figures de femme, reçurent la proposition avec d’autant plus de joye, qu’ils se persuaderent que s’il vouloit bien s’appliquer de son mieux dans le genre où il étoit superieur à tous les autres, il ne manqueroit pas de leur donner un chef-d’œuvre, digne du temple à la gloire duquel ils s’intéressoient. Aussi ne furent-ils pas trompez. Zeuxis leur demanda où étoient leurs plus belles filles ? Venez, lui dirent-ils, et en même tems ils le menerent à l’Academie où la jeunesse de Crotone étoit occupée à apprendre ses éxercices ; composée d’un grand nombre de garçons, tous d’une proportion et d’une dignité singuliere. Car il faut savoir que les Crotoniates étoient célébres pour la taille et pour la vigueur, et que plusieurs d’entreux ont remporté de très-belles victoires dans ces sortes de jeux où il faut combattre tout nud. Comme le peintre admiroit à son aise la beauté et la prestance de ces corps, qu’il voyoit à découvert et qu’il ne se lassoit point d’en faire l’éloge ; Courage, Nous avons les sœurs de ces beaux garçons ; lui dirent-ils, et vous pouvez juger des unes par les autres. Hé bien ! dit le peintre, faites m’en voir quelques unes des plus belles, pour en composer cette Helene que je vous ai promise ; car il n’est pas possible d’inspirer quelque vie et quelque vérité à un tableau muet, qu’on ne le tire de la nature même. Aussitôt les Crotoniates s’assemblerent, et, par un decret public, ils firent venir en un même lieu toutes leurs filles, en accordant au peintre la liberté de choisir, pour son dessein, celles qu’il trouveroit à propos. Il en choisit cinq, dont les poëtes ont conservé le nom à la posterité, comme ayant été jugées les plus accomplies en beauté par l’homme du monde qui s’y connoissoit le mieux. C’est ainsi que ce grand homme ne crut pas pouvoir trouver, en un seul corps, tout ce qu’il cherchoit pour former une beauté parfaite ; parce que la Nature ordinairement ne finit point son ouvrage dans un individu, et que, de peur que donnant tout à l’un, elle n’eut rien à donner aux autres, elle aime mieux compenser en tous les imperfections, qu’elle leur laisse, par les bons endroits qu’elle leur accorde. » DE INVENT. Lib. 2 c. 1. Il reste à savoir si c’est là la même histoire, que celle de notre Pline. Le P. H. ne le croit pas, parce qu’il s’agit ici des Agragantins, peuple de Sicile, et que le nom du tableau n’est pas marqué. Cependant il y a apparence que c’est le même fait. I. Il s’agit du même peintre. 2. Du même temple. 3. De l’examen d’un grand nombre de vierges. 4. De cinq entr’autres qui furent choisies. 5. D’une beauté parfaite, telle qu’on suppose avoir été Helene. 6. Et enfin Ciceron et Denys d’Halicarnasse s’accordent pour l’essentiel, au sujet d’Helene et de Crotone. M. Félibien, qui n’est pas fort éxact dans ce qu’il rapporte de l’histoire ancienne, parle ainsi de cette Helene : Et cette admirable figure, dit-il, qu’il peignit pour ceux de Crotone, en laquelle il fit paroître ce qu’il y avoit de plus parfait dans les plus belles filles de la Grèce. Ne diroit-on pas, à l’entendre, qu’on fit venir en Italie toutes les plus belles filles du Péloponnèse et des îles adjaçantes, pour fournir au peintre de quoi choisir ? Si cela est, il faut avoûer qu’il eut bien à faire, et que jamais spectacle ne fut plus magnifique.

Notes au texte latin, p. 244 :

(U) Romae Helena est in Philippi porticibus. Dans la 9 région de Rome, il y avoit plusieurs portiques […] À l’égard de cette Helene de Zeuxis, consacrée dans ce portique, on ne sçait pas bien laquelle c’est : car l’histoire parle de plusieurs. 1. Il en fit une pour les Agragantins, ou du moins pour ceux de Crotone, destinée au temple de Junon de Laciniae. 2. Eustathe nous parle d’une autre qui étoit à Athène. Stobée nous raconte, apparemment de la même, qu’un ignorant ne l’ayant pas trouvée belle, le peintre Nicomaque le releva aussitôt en lui repliquant, prenez mes yeux et vous la trouverez déesse. Elien fait aussi mention de la même ; qui étant admirée par le peintre Nicostrate (lisez Nicomaque) et quelqu’un lui demandant d’où lui venoit ces éxtases ? Vous ne me feriez pas cette question, dit-il, si vous aviez mes yeux : tant il est vrai, que, comme pour juger d’un beau poëme, ou d’une belle harangue, il faut avoir l’oreille bonne ; de même pour se connoître aux ouvrages de l’art, il faut avoir de bons yeux. Enfin le même auteur nous parle aussi d’une Helene du même Zeuxis, qui ne lui fait pas beaucoup d’honneur. C’est qu’il ne la faisoit voir à personne que pour de l’argent, et encore faloit-il payer d’avance, comme lorsqu’on va voir une rareté. Les Grecs, qui étoient de grands railleurs, badinerent beaucoup là-dessus, et donnerent à ce tableau le nom d’Helene la courtisane, qui se faisoit payer tant par visite. Je ne doute pas qu’un habile peintre, qui auroit travaillé à un chef-d’œuvre pendant quelques années, n’en pût tirer beaucoup d’argent. Si le peintre de Hambourg, qui a fait voir ici une tête de femme, à quiconque a voulu, avoit mis une taxe à la curiosité publique, il eut pû amasser une somme considérable. Car une infinité de monde y a couru, et avec raison. Il auroit pû faire la même chose à Paris, à La Haye, à Amsterdam et par toute l’Europe et s’en retourner fort riche dns son païs. Il n’est donc pas étonnant que Zeuxis, dans un siécle où la peinture n’étoit pas encore un art libéral, ait pris de l’argent de toute la Grèce, pour montrer une Helène, qui étoit peut-être la copie de celle de Crotone.

Dans :Zeuxis, Hélène et les cinq vierges de Crotone(Lien)

, p. 51-52

[[2:Son ostentation]] Il amassa de grandes richesses. La vérité est qu’il en abusa, et qu’il en fit ostentation de manière puérile. Il aima à paroître et à se donner de grands airs, surtout dans les occasions éclatantes, comme à Olympe, et dans les Jeux Olympiques, où il se faisoit voir à toute la Grèce, couvert d’une robbe de pourpre[[3:Pline ne dit pas qu’elle fut de pourpre; mais comme Élien le rapporte de Parrhase, son émule, il est probable que Zeuxis eut la même vanité.]] avec son chiffre en lettres[[3:Non pas tissées dans l’étoffe, intextae, mais attachées, en forme de plaques, et d’une grosseur à paroître de loin, insertae.]] d’or sur l’étoffe même. Enfin, ayant acquis des biens immenses, il fit le genereux, sans cesser pourtant d’être vain. Il donna libéralement ses tableaux, parce, disait-il, qu’il n’y avait ni or, ni argent, qui les pussent dignement payer.

Notes au texte latin, p. 237 :

(U) Opes quoque tantas acquisivit, ut in ostentationem earum Olympiae, aureis literis in palliorum tesseris insertum, nomen suum ostentaret. Voyez J. Fred. Gronovius sur ce passage. Prémierement, il ne sauroit digérer cet ostentationem avec ostentaret, qui lui paroît indigne de Pline: il corrige donc gestaret. En 2. lieu, il lit insertum et non pas intextum, qui est la leçon ordinaire. En quoi il a pour lui les MSS de Pintianus et de Dalecamp, quelques-uns du Vatican, un de la Bibliothèque du roi de France, et enfin la 1. Vénitienne, qui vaut elle seul plusieurs MSS. En 3. lieu, il entend par ces tesserae, les marques que l’on fait coûdre à ses propres nippes pour les distinguer des autres, notas et titulos quibus Dominus noscitur, ut nunc quoque in sudariis, mucciiis, indusiis, mappisque et hujusmodi lino, primis litteris nomina possidentium, acu et alio colore pinguntur : ce qu’il confirme par un passage de Vopiscus, contre un certain prodigue de son tems de bonne famille, qui donnoit ses plus beaux habits à des comédiens et à des comédiennes, sans faire ôter la marque, ou le nom, ou le chiffre, qui les distinguoit : Legat hunc locum, dit-il, Junius Messala, quem ego libere culpare audeo. Ille enim patrimonium suum scenicis dedit, heredibus abnegavit: matris tunicam dedit mimae; lacernam patris, mimo; et recte, si aviae pallio aurato atque purpurato, pro syrmate, tragoedus uteretur. Inscriptum est adhuc in choraulae pallio tyrianthino, quo ille velut spolio nobilitatis exsultat, Messalae nomen et uxoris: où Saumaise corrige, quo ille velut spolio nobilitatis exsultat Messalae, nomen uxoris. On voit encore aujourd’hui, dit-il, le nom de sa femme, dans le manteau de pourpre qu’il a donné à un jouer de flute, qui s’en pare comme des dépouilles de la noblesse des Messales. Tout cela prouve qu’anciennement on mettoit son nom dans les habits d’apparat. Mais la question est de savoir comment ? Ou, en les marquant en lettres d’or tout du long ; ou, par les lettres initiales ; ou, en forme de broderie ; ou, en plaques gravées ; ou, en lettres massives, d’or ou d’argent ; ou, en petits cartouches de broderie répandus sur le manteau. Je serois pour le dernier sens : car Pline dit que c’étoit in tesseris palliorum ; ce qui paroit signifier non seulement que c’étoit dans tous ses manteaux, mais aussi dans toutes les divisions, ou petits quarrez, tessellis ou tesseris, de ces mêmes manteaux. Gronovius se détermine pour des lettres d’or massif, à peu près comme les magistrats de Leyde en portent d’argent, sur leurs habits de cérémonie, ou les bedeaux de l’Université, lorsqu’ils introduisent les professeurs. Carlo Dati soupçonne que c’étoient de petites plaques d’or, à façon de franges, et il s’appuye d’un passage d’Apulée dans sa Métamorphose, Liv. 6. Videt dona speciosa et lacinias auro literatas… quae cum gratia facti nomen Deae cui fuerant dicata, testabantur. Voyez les doctes remarques dans son livre même, p. 24. Le P.H. n’est pas de l’avis de Gronovius, il adopte celui de Rubenius de Re Vest. Lib. I c. 10. Sed tesseras ille arbitratur esse quadratas tabellas palliis intextas, quibus literae, quae nomen Domini referret, essent inscriptae. Ce sont les petits cartouches dont j’ai parlé : nam et in orbiculis, continuë le commentateur dauphin, olim nomen descriptum legimus. Anastasius in Leone IV. Atque super ipsum altare fecit vestem auro textam, candidis per totum margaritis fulgentem, et in dextra laevaque tabulas gemmatas habentem, cum aureis per circuitum orbiculis, quibus insigne ipsius praesulis nomen est descriptum. Le P.H. ajoute, que, dans les habits sacrez, on voit encore aujourd’hui tesseras gentilitias intextas, et de même dans les manteaux de cérémonie des chevaliers, textum opere Phrygio ordinis sui insigne, les armes de l’ordre travaillées en broderie. Je crois que c’est la meilleure interprétation. Les habits des anciens étoient communément simples. Les princes et les magistrats se réservoient la pourpre et la broderie. Témoin Démétrius : « Aussi, à dire la vérité, il y avoit bien de la tragédie et de la pompe à l’entour de lui : car non seulement il avoit toûjours curieusement la tête couverte d’un grand chapeau à larges rebras et doubles cordons et étoit revêtu de robbes de pourpre brochées d’or ; mais aussi usoit ordinairement d’une chaussure à ses piez, faite de laine, teinte en pourpre pure, non tissuë, mais serrrée en façon de feultre et dorée par dessus ; et si faisoit faire long temps y avoit un manteau d’un ouvrage merveilleusement superbe et arrogant : car dessus y étoit portraite la figure du monde, des astres et des cercles du ciel, lequel demeura imparfait pour la mutation et changement de sa fortune ; mais il n’y eut jamais roi de Macédoine depuis qui l’osa porter, combien qu’il y en ait eû après lui plusieurs fort arrogans et présomptueux. Plutarque, in Demetr. p. m. 335. Cependant les particuliers s’émancipoient aussi là-dessus. Nous verrons tout à l’heure des traits de la magnificence du peintre Parrhase, émule de notre Zeuxis. Il n’est donc pas merveilleux que par vanité et par ostentation sur tous ceux de son rang, il ait affecté de paroître, même dans ses habits, et à Olympe, où toute la Grèce portoit ce qu’elle avoit de plus beau. C’est tout ce que je puis dire pour éclaircir un passage si fort débattu.

Dans :Zeuxis et la richesse(Lien)

, p. 50; 234

Mais à propos de Micon, son concurrent, il faut savoir qu’il y a eû un autre peintre, du même nom, surnommé le Mineur, et dont la fille s’est renduë savante dans le même art, et l’a éxercé. Elle est connuë sous le nom de Timarete, la premiere de son sexe, qui ait manié le pinceau.

Notes au texte latin, p. 234 :

Le second est Micon le Mineur, pour le distinguer du précédent ; il étoit peintre et il eût une fille, nommée Timarète qui se distingua pour le pinceau.

Dans :Femmes peintres(Lien)